Vendredi 11 septembre, la Chambre d’agriculture de Côte-d’Or et les acteurs du secteur ont tiré la sonnette d’alarme. Après une récolte 2020 historiquement mauvaise, le moral est aux ras des pâquerettes. Tous estiment qu’il est « urgent de desserrer l’étau administratif » dans un contexte de changement climatique.
Ce n’est plus un scoop, il a fait chaud en Côte-d’Or. Trop chaud. Cinquante jours sans pluie au printemps, autant au cœur de l’été, ont livré le verdict assassin : 2020 est l’une des pires moissons jamais enregistrées en quarante ans. « C’est une année hors du commun, et celles à venir le seront sans doute autant », a posé Vincent Lavier en préambule d’une conférence de presse organisée à la Maison de l’agriculture et réunissant les principaux acteurs du secteur. Pour le président de la Chambre d’agriculture départementale, « cette sécheresse a anéanti les grandes cultures (colza, orges, blé, moutarde) en particulier pour les secteurs de la zone intermédiaire, avec des terres superficielles à faible réserve hydrique. Elle a aussi affecté l’élevage (déficit en fourrages et paille) et aura encore des conséquences sur les récoltes d’automne (tournesol, maïs, soja) ».
Morne plaine pour le 21 et ses agriculteurs, dont le manque à gagner pourrait dépasser les 130 millions d’euros. Ramené à la réalité d’une exploitation classique des plateaux chatillonnais par exemple, cela représente 60 000 euros. Une paille. En poussant le bouchon arithmétique, un hectare récolté en Côte-d’Or en 2020 devrait générer en moyenne 984 euros de CA, d’après les projections des acteurs de la filière. C’est très peu, surtout si l’on retient l’EBE (excédent brut d’exploitation) estimé à 159 euros/HA, « soit un montant qui ira directement dans le remboursement des emprunts contractés par les agriculteurs, qui vont se réendeter pour vivre ». Si l’exposé de ce vendredi 11 septembre était plutôt mesuré – ce doit être cela, le bon sens paysan – l’assemblée n’a pas eu de mal à évoquer « des drames en prévision ». Le scénario catastrophe façon Au nom de la terre guette.
« Certains sont en train de péter les plombs »
« Les récoltes précédentes n’étaient déjà pas faramineuses. On ne compte plus les témoignages d’agriculteurs qui ne veulent pas que leurs enfants prennent la suite. Certains sont en train de péter les plombs », confirme sans fard Antoine Carré. Pour la première fois en cinquante-deux ans, le président du syndicat des Jeunes Agriculteurs de Côte-d’Or ne produira pas de colza sur son exploitation de Verrey-sous-Salmaise.
En cause aussi, une pression réglementaire étouffante. « Nous sommes dans une impasse agronomique, amplifiée par les décisions de l’Europe et de la France en matière de réduction des solutions phytosanitaires. Nous évoluons aussi dans un contexte où le prix des céréales reste médiocre et les aides PAC* pour la Côte-d’Or sont parmi les plus faibles de France. » Au bout du compte, « la profession agricole se retrouve en rupture avec l’administration et la politique. Nous ne sommes plus au pied du mur mais déjà dedans ».
Pas résignée pour autant, la Chambre d’agriculture propose des solutions. « On a beaucoup d’idées, nous sommes prêts pour le changement climatique, mais on doit être accompagnés », synthétise Fabrice Faivre, président de la FDSEA 21. À commencer par la pérennisation des filières régionales : le local, ce n’est pas que le circuit ultra-court. Il y a tout un tas de filières régionales à encourager : meuniers, moutardiers, fabricants d’aliments du bétail, etc. En Côte-d’Or, des cultures emblématiques et garanties sans OGM comme la moutarde fondent pourtant comme neige au soleil… François-Xavier Lévêque, céréalier à Bressey-sur-Tille, a déjà alerté sur ce sujet. « La moutarde rencontre le même problème que le colza. Il y a cinq ans, ça fonctionnait encore bien avec 6000 hectares pour 12000 tonnes produites. Aujourd’hui, on en est à 3000 hectares d’intentions de semis. C’est révoltant de laisser mourir ce genre de production, avec des industriels locaux qui devront importer leur matière première. »
La gestion de l’eau, point central
La gestion de l’eau est au centre des préoccupations. « Il faut nous laisser les moyens de retenir l’eau en hiver quand elle est en excès pour la restituer quand elle manque. Nous demandons une approche pragmatique et non idéologique, adaptée aux besoins des productions agricoles. » La moitié du département étant constituée de sols superficiels à faible réserve hydrique, avec la particularité supplémentaire d’être situé en tête de bassins, l’idée des retenues d’eau comme du côté de Fauverney est un début de solution.
Tout comme peuvent l’être les nouvelles énergies, entre méthanisation et agrivoltaïsme. Les agriculteurs d’aujourd’hui n’échappent pas au digital. Ils se disent « prêts pour le progrès, équipés, ouverts aux recherches de pointe dans l’agronomie et la génétique pour des variétés plus résistantes à la sécheresse par exemple ». Un projet de méthanisation du seigle de fourrage est par ailleurs porté par la coopérative Dijon Céréales en secteur Châtillonnais et au nord de Dijon, comme l’ont expliqué sur place Marc Patriat et Didier Lenoir, respectivement président et vice-président du géant local du stockage.
Bref, à l’heure des circuits plus courts que courts, illustré par « un impressionnant mais très passager » retour aux sources du locavore pendant le confinement, on souffre de l’autre côté de la barrière. Les pistes sont là, mais le champ de l’optimisme est encore en jachère.
* La PAC (Politique agricole commune) relève du fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). Pour la Côte-d’Or, cela représentait en moyenne 40 000 euros d’aides par exploitation (source Agreste Bourgogne-Franche-Comté).