L’Athenæum va devenir plus qu’une librairie XXL. C’est ce qu’explique son gérant Vincent Clément, en marge des 30 ans du mythique établissement beaunois qu’il honore par une série d’importants travaux. Un grand changement abordé sous les meilleures auspices, naturellement.
Propos recueillis par Alexis Cappellaro
Pour DBM76
Un temple mondial de « l’œnolittérature ». Tel est considéré l’Athenæum de Beaune depuis sa création en 1989 par André Boisseaux, le visionnaire fondateur du groupe Patriarche. Reprise en 2012 par le Chalonnais Vincent Clément, cette librairie hors du commun faisant face aux Hospices aborde un nouveau destin : à l’horizon 2020, environ 800 000 euros seront consacrés à une restructuration ambitieuse et calculée, qui prévoit notamment l’installation d’un ascenseur. Son gérant a déjà jeté les bases de ce renouveau, en réagençant efficacement plusieurs espaces et misant sur un recrutement à haute valeur ajoutée. À l’automne, une ancienne salle de projection deviendra ainsi un espace réceptif pour des dégustations personnalisées, rencontres avec écrivains et vignerons, conférences… Tout ce qui anime Vincent et son équipe. Entretien.
30 ans, c’est un bel âge pour amorcer une transformation ?
Sans aucun doute. Ce changement est la conjonction de plusieurs facteurs : d’abord parce que nous sommes toujours pleins d’envie. Ensuite car une remise aux normes, notamment pour l’accessibilité tous publics, était devenue nécessaire. Enfin, et cela conditionne le tout, le cycle financier de l’entreprise que j’ai reprise il y a 7 ans octroyait une certaine marge de manœuvre.
Cet anniversaire apporte aussi un éclairage sur le créateur historique…André Boisseaux était fondamentalement précurseur. Un visionnaire dans la façon d’appréhender le vin comme une interface culturelle, globale, aux facettes multiples. À l’époque, il n’était pas encore évident que le vin puisse être le point de départ – ou d’arrivée – de beaucoup d’autres choses. Puis, ce trentenaire est aussi symbolique pour Anne Caillaud. Elle est la directrice de l’Athenæum depuis le début et si nous en sommes là aujourd’hui, c’est aussi grâce à elle.
Finalement, qu’est-ce qui a changé depuis janvier 2012 ?
Tout et rien à la fois. Sous Patriarche, le vin représentait à peine 10% du chiffre d’affaires. Nous comptons à présent 750 m2 exploités, bientôt un millier au total, et le taux est monté à 25 % grâce à 120 domaines partenaires. Les livres couvrent 40 %, le reste étant représenté par des objets divers et variés, des verres Zalto au brasero en passant par des skateboards. Le panier moyen d’un client de l’Athenæum est d’environ 30 euros. Ce qui implique un agencement intelligent pour provoquer ces actes d’achat « plaisir ». Entretemps, il y a eu une appréhension différente des lieux, que je conçois comme le carrefour de beaucoup de richesses : nous avons développé une approche spécialisée sans être élitiste, sur la base d’une thématique art de vivre forte. Notre valeur ajoutée n’est certainement pas de tout proposer in extenso en voulant concurrencer Amazon. Notre savoir-faire réside dans la sélection, qui doit être dans une certaine mesure représentative de la Bourgogne viticole. Quelque part, nous sommes des experts sélectionneurs.
Et il y a un peu de boulot niveau sélection, quand on travaille ici…
120 000 références, 20 000 ouvrages dont 3000 sur la vigne ou le vin… Je suis entouré de 22 collaborateurs équivalents temps plein pour assumer une ouverture 7/7. Tout cela demande une grande endurance et en même temps une certaine subtilité. Ils doivent être compétents bien sûr et, c’est le critère supplémentaire, passionnés. Cela vaut pour la partie vin, récemment renforcée par le recrutement d’un responsable. Il nous faut conserver le même niveau d’exigence et de reconnaissance.
Et ces travaux, alors ?
Ils vont justement dans ce sens. Nous avions des zones non exploitées au rez-de-chaussée et aux étages. Les travaux permettrons de mieux définir les rayons : les beaux livres et autres ouvrages vie pratique, santé et voyages ont déjà investi une toute nouvelle partie. Un ascenseur sera créé d’ici 2020 dans la partie centrale, pour abandonner l’estrade au profit d’une vaste librairie œnologique. À l’étage, une salle de projection deviendra à l’automne un lieu de dégustation, de rencontres avec des auteurs et des vignerons, de conférences… J’ai envie d’événements à forte valeur ajoutée, avec de la vie, et pas seulement le week-end de la Vente des Vins.
Et en ce qui concerne le marketing ?
Nous y travaillons, naturellement. La refonte graphique, à travers un nouveau logo il y a plusieurs mois, en fut la première étape visible. Nous allons apporter une évolution supplémentaire dans notre image de marque, à travers une seconde plateforme web. Notre site actuel fonctionne bien, son référencement de premier plan est un atout, mais il est rattaché à une plateforme de librairie. Sa vocation est donc purement marchande et nous laisse peu de marge de manœuvre. Un autre site conçu ex nihilo fournira du contenu, des présentations d’auteurs, de vignerons, de vins…
Tout cela est excitant, d’un point de vue personnel ?
Bien sûr. Cela rejoint mon rapport au vin, à l’art de vivre, à la culture. C’est intime. Avant même d’être en âge de goûter, je m’étais intéressé au vin par le prisme familial, à travers Le Nez du Vin. Un ouvrage-écrin fondateur, créé par Jean Lenoir. Puis je suis tombé sur le fils d’un vigneron de Rully au lycée, qui nous a fait passer de l’autre côté de la barrière (sourires). C’est un sujet complexe, riche, que j’ai plus tard abordé par le prisme de la littérature. Sans pour autant penser en faire mon métier. Un voyage deux ans au Laos m’a permis de comprendre la valeur de notre région, de la chance que nous avions. Être vigneron m’a un temps traversé l’esprit, puis est venue cette possibilité de rachat en 2012. C’est un choix de vie, de pouvoir naviguer dans les univers que j’aime. Je me reconnais dans toutes les propositions de l’Athenæum, avec un rapport direct au savoir-vivre et à l’artisanat aussi.
Officier en face des Hospices oblige à un certain degré de qualité ?
Oui et non. Après tout, nous pourrions aussi faire dans l’attrape touristes ? Ce n’est pas ma conception des choses. La clientèle touristique, plus spontanée, est en réalité aussi nombreuse que les locaux, du moins régionaux. Elle est aussi très connaisseuse. Tel est notre modèle économique, protecteur de nos intérêts : on ne donne pas la priorité à une typologie de clients. Nous restons malgré tout un commerce de service et de détails, avec le besoin d’aimer et de comprendre le client.
Et bien, merci Vincent. À vos 30 ans ?
Santé !