« Avec Jean-Luc Petitrenaud, nous aimions la même France » : l’hommage de Gauthier Pajona

Le journaliste culinaire Jean-Luc Petitrenaud est mort le 10 janvier, à l’âge de 74 ans. Ses cartes postales gourmandes et ses escapades ont rendu gloire à une certaine idée de la Bourgogne, sortant de l’ombre des cuisiniers, producteurs, artisans bien avant l’ère des influenceurs… Aux premières loges de ces savoureux instants, Gauthier Pajona. Le reporter-gourmet de Bourgogne Magazine rend hommage à son ami et complice.

De gauche à droite : Jean-Luc Petitrenaud, Gauthier Pajona, chroniqueur-gourmet (et ex chef de cabine d’Air France), et Patrice Fardeau, ancien journaliste auto à l’Humanité, à Sens en 2003 pour le tournage de l’émission Carte postale gourmande. © Bruno Prieur

Par Gauthier Pajona

Fermeture définitive. L’ami Jean-Luc ne mettra plus sa truffe au-dessus d’une marmite. Nous nous aimions sincèrement et pudiquement, comme deux vieux potes partageant quelques valeurs communes. Je le connus bizarrement. En 1993, mon frère m’avait offert Le guide du casse-croûte, son premier ouvrage, pour mon anniversaire. À travers les pages, on pouvait sentir le beurre blond fondu qui attend l’entrecôte, le homard qui griffe le long du vivier, le jambon persillé au pied de veau qui entend siffler le couteau. Ses chroniques sur Europe 1 ouvraient l’appétit dès 6h20.

« Pas possible », m’étais-je dit. Il fallait que je rencontre ce joyeux drille. Je lui écrivis, il me répondit. Nous fîmes connaissance ainsi, à l’ancienne, le plus simplement du monde, autour d’un verre de blanc – il avait un faible pour le Sancerre. 

Une relation était née. Je lui fis régulièrement remonter des adresses d’artisans et de cuisiniers en Bourgogne. Sa confiance m’honorait. Dieu que nous avons ri ensemble lors de tournages ou accoudés à un zinc de bistrot. De son passé théâtral, Jean-Luc avait le goût des mots et l’art de sublimer les petites scènes de la vie ordinaire. Son premier diplôme était un CAP chaudronnerie, mais il avait compris que son avenir était ailleurs, lui qui n’était guère bricoleur.

Fidèle en amitié, notre Jean-Luc aimait particulièrement les cuisiniers bourguignons Jean-Pierre Billoux et le regretté Bernard Loiseau, avec qui il partageait des racines auvergnates. Le vendredi, nous nous retrouvions souvent près des studios d’Europe 1, vers 11h, au Café Mode, un bistrot disparu. Ses émissions commençaient souvent par une de ces imitations dont il avait le secret, et qui faisaient rire l’auditoire… Et comment oublier nos déjeuners au Violon d’Ingres, le restaurant du sympathique chef Christian Constant. Le feuilleté d’asperges, la volaille rôtie dans son jus et le gratin de macaronis finissaient de sceller une amitié.

À Sens au restaurant La Madeleine, moment de complicité entre Jean-Luc Petitrenaud et Gauthier Pajona dans le cadre de l’émission Le Bistrot du dimanche diffusée sur Europe 1. © Bruno Prieur

Avec Jean-Luc, nous aimions la même France. Parfois, il me glissait : « Tu sais mon Pajona, je me demande si nous ne sommes pas les derniers des Mohicans… » Il avait un peu raison. Cet homme de conviction n’hésitait pas à aller à rebours de l’époque, défendant par exemple le noble métier de tripier, qui faillit scandaleusement disparaître après la crise de la vache folle de 1996. Une sorte d’hystérie que l’on retrouva en 2020 avec la crise Covid. Ah, les tripes de l’Auberge du Pont de Coudray à Amayé-sur-Orne (Caldavos) !

Il avait son réseau partout en France, mon Jean-Luc : son pote tripier Gérard Chatel à La Ferté-Macé (Orne), le vigneron Jacky Preiss en Touraine, la boucherie Meinier et le MOF boulanger Christian Vabret du côté d’Aurillac (Cantal), le cuisinier avignonnais Christian Étienne… et tant d’autres. N’oublions pas non plus ces jeunes toqués qu’il contribua à faire légitimement connaître, par sa plume ou quelques bons mots lâchés à l’antenne.

Ce fut notamment le cas d’Eric Boutté dans son Aubergade à Dury (Somme) et de Frédéric Doucet à Charolles (Saône-et-Loire). Nous étions heureux aussi de présenter, en 2007, un jeune aubergiste de Noirmoutier dont nous ressentions la sincérité et le supplément d’âme. Aujourd’hui, Alexandre Couillon est triplement étoilé.

Nous sommes nombreux à pleurer Jean-Luc : ses enfants Louise et Antonin, sa compagne Aurélie, mais aussi celles et ceux qui ont eu la chance de travailler avec lui. Maryse d’Europe 1, Claudy sa productrice, ma Bérange, l’un de ses réalisateurs, Sandrine sa maquilleuse préférée… Repose en paix, mon Jean-Luc. Tu vas nous manquer. Tu as retrouvé grand-mère Louise, mais aussi Mimile et Cécelle, tes parents.

Il nous reste tes livres et ta verve, le souvenir chaud de tes émissions, et surtout ce lien indissociable créé avec tout un chacun. N’est pas Petitrenaud qui veut ! Alors, comme tu le disais souvent en fin de tournage : « Je vous estime, je vous aime et tenez-vous fort ! »