Ici c’est Blagny ! À cheval entre les vignobles de Puligny et de Meursault, perché en lisière de forêt, ce hameau discret (5 habitants) entretient une riche histoire viticole depuis le XIIe siècle. S’il est dévolu en majeure partie aux premiers crus blancs, il a conservé quelques ceps de pinot, en souvenir du bon vieux temps…
C’est mathématique : quand on se promène sur les hauteurs de Blagny, on a plus de chances de croiser un enjambeur qu’un habitant. La raison est simple, le dernier recensement fait état de cinq habitants. Du haut de ses 380 m d’altitude, Blagny se laisse glisser dans le confort de son existence, rythmée par ses deux domaines viticoles, Comtesse de Chérisey et Chapelle de Blagny. Certains choisissent le hameau pour se ressourcer dans une maison d’hôtes d’exception, tenue par l’ancien footballeur pro Jean-Christophe Thomas avec son épouse Isabelle. Les 19 et 20 mars, plusieurs milliers de visiteurs réveilleront cet écart endormi de Puligny. Les randonneurs n’ont pas attendu la grande fiesta pour apprécier son magnifique belvédère sur la côte de Beaune ou arpenter une mer de vignes quasi exclusivement composée de premiers crus… Le jour J, on pourra d’ailleurs déguster la cuvée de Puligny-Montrachet 1er cru « Terroirs de Blagny », un assemblage de trois climats locaux : les Chalumaux, Hameau de Blagny et Sous le Puits. Le tout vinifié sur place par Laurent Martelet.
Histoire de famille
Le vin à Blagny, c’est un héritage familial. Laurent et son épouse Hélène représentent la sixième génération au domaine Comtesse de Chérisey. Leur fille Laurette et leur gendre Rémi Colin sont en train de reprendre le flambeau. Du côté de la Chapelle de Blagny, Jean-Louis de Montlivault a passé la main à son gendre Étienne, huitième génération. « Notre famille est arrivée en 1811 », retrace celui que tout le monde ici appelle « l’oncle Jean-Louis ». Jeune ingénieur frustré de se limiter aux seules vendanges comme il le reconnait lui-même, il reviendra au domaine pour en prendre la responsabilité. Car Blagny est un aimant.
Les premières traces de vignes dans le hameau remontent au XIIe siècle. Le vignoble appartenait alors au chanoine de Langres qui en fit don à l’abbaye de Maizières. « Cette abbaye cistercienne a ensuite capitalisé sur le savoir-faire des moines de Cîteaux pour développer une culture de pinot noir. »
Rouge sur blanc
Produire du rouge au royaume du chardonnay, qu’elle est donc cette hérésie ? « Cette idée n’est pas tombée du ciel, explique l’oncle. Des moines cisterciens seraient allés en croisade en Palestine. Ils y auraient découvert que les prêtres célébraient la messe avec du vin rouge. Séduits, ils ont voulu en faire de même en Bourgogne. » Rien ne résiste au bon sens : l’initiative de nos vignerons en soutane s’essouffle et le chardonnay fait vite son retour en grande pompe sur la côte.
Pour autant, Blagny cultive cette dualité. Il fait de la résistance. Un peu de rouge subsiste. Jusque dans les années 1950, on y trouvait même quelques parcelles de gamay, cépage né dans le hameau voisin du même nom. Un intru au pays du pinot noir, plus de sept siècles après son interdiction par Philippe le Hardi. De nos jours, trois petits hectares sur 56 sont encore consacrés à sa majesté pinot. Vive la résistance !
Terre de premiers crus
Mais au fait, Blagny, c’est du Puligny ou du Meursault ? Son coteau embrasse à parts quasi égales ces deux vignobles (29 ha pour le premier, 25 pour le second). Ce qui ne facilite pas toujours la compréhension du terroir. « Nous sommes rattachés historiquement à l’ODG (ndlr, organisme de défense et de gestion) de Puligny, mais nous sommes aussi adhérents de celui de Meursault. Même nous, il nous arrive de nous emmêler les pinceaux », plaisante Laurent Martelet.
Pour faire simple, la mention Blagny n’est jamais seule sur une étiquette, sauf lorsqu’il s’agit du très confidentiel rouge premier cru Sous le puits (0,33 ha). En général, l’amateur de bourgogne trouve dans son verre du Meursault-Blagny ou encore du Puligny-Montrachet suivi du nom d’un climat blagnisien. Côté appellation village, Puligny se taille la plus grande part du gâteau (8 ha), Meursault se contentant d’un hectare et demi. Une petite vingtaine de vignerons se partagent l’exploitation de ces terres.
Alors, Blagny, c’est du Meursault ou du Puligny ? Ni l’un ni l’autre. D’un climat à l’autre, les ceps plongent leurs racines dans des sols hétérogènes (tantôt argilo-calcaires, tantôt très pauvres et peu profonds). Leurs raisins, particulièrement bien exposés, enfantent des vins aux arômes variés. Trame citronnée pour les uns, structure grasse et souple pour les autres : en ce début de printemps placé sous la bienveillance de saint Vincent, chacun pourra le découvrir, les yeux rivés sur l’horizon et le verre bien au creux de la main : Blagny, c’est Blagny !