Portée par une association regroupant une trentaine de vignerons, la reconnaissance, au sein de l’AOC Bourgogne, d’une dénomination géographique complémentaire « Bourgogne Dijon » n’a jamais été aussi proche. Retour sur un dossier qui fédère de nombreux acteurs et préfigure une culture de la vigne particulièrement innovante.
« Il y a un siècle à peine, on eût trouvé sur le territoire de Dijon des vins d’une grande valeur, appréciés à la fois et dans le pays et dans l’étranger. Aujourd’hui il ne reste plus que quelques hectares cultivés en plants fins (…) et tout annonce que bientôt les derniers bons vins auront disparu de son vignoble ». En 1855, le diagnostic du célèbre docteur Jules Guyot est accablant. Il jette une lumière crue sur la fin d’une histoire glorieuse.
Après un siècle d’oubli, l’âme viticole de Dijon renait. Dijon Métropole a impulsé une politique de terroir inédite sur le plan national, en rachetant le plateau de la Cras dès 2013. Dans son sillage, une trentaine de vignerons, réunis en association sous la présidence de Jean-Luc Theuret, est bien décidée à ramener d’ici dix ans à une centaine d’hectares les vignes métropolitaines.
Le potentiel est là : la zone historiquement délimitée en AOC représente un potentiel d’environ 250 hectares sur cinq communes (Dijon, Plombières-lès-Dijon, Corcelles-les-Monts, Daix et Talant). D’un point de vue géologique, pédologique et géographique en général, la cause est entendue : toutes les conditions sont rassemblées pour faire du bon vin sur la côte dijonnaise.
Un conservatoire de pinot et de chardonnay
Géré par l’ATVB (Association technique viticole de Bourgogne), le conservatoire régional de pinot et chardonnay est implanté sur deux sites, la « Rente Giron » côté Plombières et « En Verbois » sur le plateau de La Cras. Différentes lignées de ces deux cépages roi en Bourgogne ont été plantés depuis 2018 pour étudier leur comportement dans le cadre du changement climatique. La question du matériel végétal et de son dépérissement est en effet cruciale. L’ATVB et son conseiller Laurent Anginot travaillent main dans la main avec les chambres d’agriculture, l’interprofession du BIVB, la CAVB (Confédération des Appellations et des Vignerons de Bourgogne), le GEST (Groupement d’Etude et de Suivi des Terroirs) et de nombreux experts. L’association est pleinement impliquée dans le projet de plantation de vignes-mères de greffons. Conduite comme une vigne traditionnelle, ses bois seront coupés pour produire des greffons servant à la filière de la pépinière viticole. De quoi former à terme un véritable « centre de production » dijonnais. « Dans 10 à 15 ans, plus de la moitié des nouveaux greffons de la côte viticole viendra de Dijon », projette Jean-Luc Theuret.
Président atypique
« La métropole est propriétaire d’une quarantaine d’hectares à vocation viticole, qu’elle confie à la chambre d’agriculture, laquelle délivre ensuite des baux ruraux aux vignerons qu’elle sélectionne après des appels à manifestation d’intérêt. Il s’agit aussi, quand cela est possible, d’encourager des modèles économiques en lançant de jeunes viticulteurs », détaille Gérard Ferrière. L’ancien directeur du Jardin des Sciences gère ce dossier d’importance au sein de la métropole, en lien avec différents services.
L’enjeu est d’aménager et de confier en fermage les vignes métropolitaines, via une politique de replantation active. L’exemple de la Motte Giron, passé en quelques années d’un rectangle de blé à plus de 10 ha de vignes répartis entre cinq exploitants, est on ne peut plus évocateur.
Un dossier de candidature pour la création d’une dénomination géographique complémentaire dans l’AOC Bourgogne a donc été transmis à l’Inao en octobre 2022. L’association des vignerons du Bourgogne Dijon (AVBD) est l’interlocuteur pivot du gendarme des appellations en France. Son président revendique un profil atypique.
L’expertise comptable mène à tout, à condition d’en sortir. Après une première vie de chef d’entreprise bien remplie, Jean-Luc Theuret se voyait à la tête d’un domaine viticole. De rencontres en rencontres, il a fini par s’engager tout entier dans cette aventure collective. Le projet dijonnais motive intimement ce fils d’agriculteurs, qui plonge avec gourmandise dans la grande histoire du vin à Dijon et indirectement dans l’histoire paysanne familiale.
Des vignerons suivent à l’image de Manuel Olivier, son associé et l’un des précieux référents du dossier. Secrétaire général de la CAVB, il connait par cœur tous les rouages administratifs et les corps intermédiaires de sa profession. Il n’avait « jamais compris pourquoi Dijon ne faisait rien de tout ce potentiel. En bon syndicaliste, je m’étais dit qu’il fallait corriger ça ! »
Une école de patience
Les domaines engagés viennent pour la plupart de la Côte de Nuits. Tous perçoivent l’incroyable potentiel de Dijon, qu’il s’agisse de lancer une activité entre vigne et ville comme Bastien Gautheron, renforcer son offre sur un marché fragilisé, voire surfer sur une dynamique multiactivités comme la JDA via sa filiale viticole. La Bourgogne et ses dérives spéculatives sont aussi en toile de fond. « À l’heure où les clignotants des prix s’allument, Dijon est idéalement placé pour produire un bourgogne d’un excellent rapport qualité-prix, autour de 20 euros », estime sans faux-semblant Manuel Olivier.
Les choses avancent. « Le dossier est passé au niveau national, nous attendons une commission d’enquête qui mobilisera à présent des experts hors Bourgogne », précise Jean-Luc Theuret, qui se garde bien de parier sur une date. La patience est ici une vertu cardinale. L’Inao est un grand paquebot qui avance à son rythme, ce qui n’est finalement pas un mauvais signal quand il s’agit de protéger les opérateurs et les consommateurs.
Bourgogne Dijon, l’appellation exemplaire
Dijon veut justement être une appellation exemplaire en terme d’agroécologie. « L’association d’arbres aux cultures et l’enherbement inter-rangs permet de réguler le cycle de l’eau en facilitant son infiltration, limitant ainsi l’érosion des sols, et le stockage de carbone », estime Philippe Lemanceau, vice-président de la Métropole en charge de la transition alimentaire, directeur de recherche à l’Inrae et spécialiste de la biodiversité des sols. Le projet du domaine de Gouville, porté par le vigneron Patrice Rion, apporte une éclatante démonstration de cette conception innovante de la viticulture, comme en témoigne également le travail mené par l’ATVB dans ses vignes conservatoires.
« Nous avons fixé un cadre d’innovation pour aller vers une viticulture innovante, à faible intrants. Cette transition agroécologique intègre des enjeux liés à l’habitat, à la santé publique, mais aussi à un œnotourisme responsable », estime Philippe Lemanceau. Point à souligner, la grande majorité des domaines concernés travaillent déjà en bio.
La qualité du matériel végétal est aussi en ligne de mire. « Nous sommes sur des terrains sains, qui n’ont pour la plupart pas vu de vigne depuis longtemps, ce qui limite considérablement les risques de viroses, cornouées et autres cicadelles. Ça devient rare en Bourgogne ! Les vignes dijonnaises sont des vignes mères, qui produisent du bois pour l’ensemble de la filière bourguignonne », commente Manuel Olivier.
À bien des égards, les planètes s’alignent. Y compris du point de vue institutionnel. « Dijon a changé de braquet, confirme Jean-Luc Theuret, aux premières loges. Qui aurait pensé, il y a dix ans, que le siège mondial de l’OIV serait ici ? Le soleil réapparaît ! » Tant mieux pour la vigne, tant mieux pour le vin, tant mieux pour les Dijonnais !
📚 À lire dans Dijon Capitale n°9 – Disponible chez nos dépositaires habituels et à feuilleter en ligne
Françoise Vanier, les clés du terroir
Elle sillonne depuis vingt ans la Bourgogne au service des domaines et organismes viticoles, avec Marsannay comme dossier emblématique. Les vignerons du cru la remercient encore d’avoir nourri comme jamais auparavant leur conscience géo-pédologique, cette science qui étudie la terre en profondeur et à la surface. Françoise Vanier est une clé du dossier dijonnais. À la demande de l’association des vignerons du Bourgogne Dijon, la géologue et son binôme Emmanuel Chevigny ont délivré un rapport de 170 pages début 2021 pour nourrir le dossier de candidature présenté à l’Inao. Sur la base de nombreuses études historiques et sur le terrain, avec une vingtaine de « fosses pédologies » creusées sur les lieux d’AOC, il ressort que la métropole dijonnaise est à la frontières entre plusieurs unités géologiques régionales, découpé par des failles diverses, qui relie les plateaux calcaires à l’ouest avec la plaine de Saône à l’est. « Des entités géologiques et topographiques complémentaires, cohérentes avec le vignoble bourguignon », estime Françoise Vanier, qui s’est aussi appuyée sur les équipes locales de l’Inao dont son confrère Eric Vincent, précieux ingénieur délimitation. Pour faire simple, deux grandes familles se rencontrent, sur des altitudes variant de 250 à 400m, avec un éventail de pentes très large : « Sur la partie sud, dans le prolongement naturel de la Côte de Nuits, du Montrecul jusqu’aux Marcs d’Or, on retrouvera plus volontiers du calcaire de Comblanchien et de Premeaux. L’entité nord-ouest (Daix, Plombières, Talant) sera plutôt sur le calcaire de Dijon-Corton et de Ladoix, que l’on retrouve sur la butte de Corton et qui a servi pour édifier certains bâtiments dijonnais. » L’enjeu de l’eau est aussi considérable pour décider du sort d’une culture en AOC. « Les types de sols que nous avons étudiés présentent des conditions agro-viticoles favorables à la culture de la vigne, avec de bonnes conditions d’écoulement naturel, sans excès d’eau identifié », estime la scientifique, qui revendique avec précaution une « vision multifactorielle » de son métier, où l’altitude, la pente, l’exposition au soleil… et la main de l’homme font entièrement partie de l’équation. La géologie, c’est bien, mais « le vin, ce n’est pas que du jus de caillou ! »