Le breaking, discipline du hip-hop, fait son entrée aux JO de Paris cette année. les chances de médailles françaises sont largement côte-d’oriennes : Depuis près de 30 ans, Chenôve accueille l’un des meilleurs crews français et l’école de hip-hop sans doute la plus titrée de France. Bienvenue chez Figure2Style.
Au sein de l’association Figure2Style, qui promeut la danse et la culture hip-hop depuis Chenôve, la nouvelle de l’arrivée de deux épreuves de breaking (ou breakdance) aux Jeux olympiques de Paris a suscité la satisfaction d’une évidence enfin reconnue. « Nous pratiquons une discipline artistique et sportive. Nos danseurs sont des athlètes de haut niveau qui s’entrainent plusieurs heures par jour », témoigne Fabrice Fiossonangaye, fondateur de Figure2Style. Ils sont d’ailleurs plusieurs à s’entrainer, au même instant, dans la salle de danse mise à la disposition de l’association au sein du Cèdre, le centre culturel et de rencontres de Chenôve. Sous une natte qui s’agite frénétiquement, se cache B-Girl Warlène, vice-championne de France de breaking et future porteuse de la flamme olympique. Plus loin, occupé à tenir une improbable position horizontale en appui sur un bras, c’est B-Boy Mathématis, troisième aux championnats de France. Deux des espoirs de médaille française aux prochains JO s’entrainent sous nos yeux.
Transformer la colère en énergie positive
Figure2Style est l’incubateur de nombre des meilleurs talents français de la scène breaking, cette danse hip-hop inventée dans les années 1970 à New York, sur le terreau de l’abandon social du South Bronx. La France est très tôt frappée par cette vague musicale et artistique, qui mêle intimement musique, revendications sociales, art du graff et de la danse. « Le hip-hop est entré très tôt dans la culture en France, à travers une émission de télévision diffusée en 1984, H.I.P. H.O.P. Et aujourd’hui, la scène danse hip-hop française rivalise avec celle des USA », assure Fabrice.
La révolution hip-hop a commencé, à Chenôve, dans les années 90. Plusieurs copains du quartier avaient l’habitude de se retrouver pour danser, sur des cartons, en bas des tours d’habitation. En 1996, Fabrice, son frères et ses « frères de quartier » fondent Figure2Style, qui devient association en 2001. Un groupe né de la colère sociale, qu’il sublime en force créative : « On se sentait stygmatisés. La danse nous a permis de transformer notre colère en énergie positive. C’est tout le sens des battles qui rythment la vie des amateurs de hip-hop, qui nous permettent de nous exprimer, de régler nos conflits en théâtralisant nos affrontements », analyse-t-il aujourd’hui.
Un crew devenu école de danse hip-hop
Né à Chenôve, Figure2Style y prospère, rapidement remarqué par la municipalité pour son travail de terrain. D’abord hébergée dans un gymnase, l’équipe rejoint des locaux confortables au Cèdre, où elle dispose d’une vaste salle d’entrainement et de plusieurs bureaux. Car le crew a donné naissance, en 2009, à une véritable école de danse hip-hop, Résid’danse, qui accueille plus de 300 licenciés à l’année. L’école forme les meilleurs, et débouche sur des carrières parfois surprenantes. « Jamel Blissat, qui a dansé avec nous, est désormais un cascadeur de renommée internationale. Il a participé au dernier Indiana Jones », note Fabrice.
Mathis Bernard, alias Mathématis, a commencé le hip-hop à 6 ans avec Figure2Style. Plus de 12 ans plus tard, il est l’un des meilleurs B-Boy français. Il s’est même installé à Chenôve pour être plus près du Cèdre et pouvoir s’entrainer plus aisément. Les cours, accessibles à tous niveaux, recrutent largement au-delà de la ville. La pratique artistique et sportive s’accompagne toujours d’un fort message social. Fabrice Fiossonangaye, père de deux enfants, accepte sans ciller le rôle de « grand frère », si cher à la représentation médiatique des banlieues. « On essaye de faire des choses bien. Rien ne me rend plus fier que voir un gamin qui était un peu perdu retrouver son équilibre grâce à la discipline exigée par la danse. On aide un peu. On met un petit coup de pression à ceux qui ne vont plus à l’école, qui commencent à lâcher. “On vous aime, mais il y a des règles”, leur fait-on comprendre. »
Avec ce souci du social, Fabrice voit d’un œil partagé la professionnalisation du hip-hop et du breaking. Avec Figure2Style, il a participé à la structuration de la filière, à la définition des deux épreuves de breaking des prochains JO, à l’émergence d’une fédération nationale… Bref, à l’officialisation de la discipline, au risque de voir disparaitre sa dimension contestataire, pourtant constitutive. « Il y a plus d’argent aujourd’hui dans le hip-hop, c’est certainement une bonne chose. Mais la compétition a changé par rapport aux années 90, où nous étions des crews qui s’affrontaient. Aujourd’hui, ce qui marche, ce sont les battles un contre un, l’esprit d’équipe tend à disparaitre au profit de danseurs mercenaires qui vont chercher l’argent où il se trouve. Il y a moins de fierté et d’honneur », estime ce breakeur de la première heure.
B-Girl Warlène, le hip-hop made in Selongey
Qui mieux que Warlène pour prouver que le hip-hop a, depuis longtemps, franchi les frontières des quartiers urbains ? « J’ai commencé la danse à Selongey, dans un cours de modern jazz. Un jour, le prof nous a fait travailler une chorégraphie inspirée du hip-hop, j’ai adoré. J’ai attendu d’être un peu autonome, à 17 ans, pour prendre mes premiers cours de breaking », raconte Marlène Spahr, alias B-Girl Warlène. La vice-championne de France de breaking rejoint Figure2Style à 20 ans, et participe à ses premières compétitions. « J’étais plus âgée que la plupart. Avec l’équipe, j’ai beaucoup travaillé l’acrobatie, avec des exercices de renforcement musculaire et d’explosivité », poursuitelle. Le travail paie, Warlène se fait un nom, parcourt le monde de compétition en compétition, se fait remarquer par un sponsor. En finale du championnat de France, à Bordeaux en 2022, elle échoue de peu derrière B-Girl Sarah Lee. Rien d’étonnant, cette dernière a été elle aussi, formée par Figure2Style à Chenôve.