En fondant le groupe scolaire Les Saisons dans le village de Brognon, Emilie Couturier défend une autre façon d’apprendre aux 3-15 ans. Et démontre que, de la maternelle au collège, un autre chemin est possible…
Anatole France, notez ça dans vos cahiers, était un écrivain différent qui vantait les vertus de l’école buissonnière. Avec son groupe scolaire fondé en 2020 à Brognon, dans son style à elle, Émilie Couturier a posé les bases d’une passionnante « école forestière » : un corps de ferme réhabilité sur deux niveaux, une cour donnant sur un pré où quelques chevaux paissent en silence et, plus loin, les bois du château voisin… Dans ce cadre préservé au nord de Dijon, la directrice-enseignante accueille près de quarante élèves, de 3 à 15 ans, et anime un réseau de sept salariés et intervenants.
Les Saisons revendique sa propre différence. Elle s’appuie pour cela sur la pédagogie Steiner-Waldorf et le modèle des Forest School, très présent outre-Atlantique et dans les pays scandinaves, pour proposer une articulation riche de sens entre la tête (penser par soi-même, réfléchir avec les autres), le cœur (aimer, ressentir) et les mains (créer, expérimenter, bouger).
Développée avec discernement, cette approche n’a rien d’occulte ou de miraculeuse. Elle privilégie simplement, en complément actif des connaissances « classiques », la découverte d’univers artistique et créatif, développe les sens, encourage la capacité d’émerveillement et la proximité avec la nature…
Intelligences multiples
Cette attitude correspond en tout point à Émilie. La fondatrice de l’école y voit non seulement une pédagogie qui révèle des potentiels parfois inexploités, mais aussi « une réponse aux enjeux de notre société ».
Sa démarche va dans le sens des « intelligences multiples », entre la connaissance de soi et des autres, la capacité à créer ou encore la perception de son environnement, à rebours de l’hégémonie d’une intelligence unique et innée, sanctionnée par le bon vieux test QI.
La Dijonnaise n’est cependant pas dupe des aprioris à lever quand il s’agit d’un groupe scolaire privé hors contrat. La caricature de l’enfant-roi n’est jamais loin. Cette pragmatique se montre toujours ouverte au dialogue, suivant sa « démarche d’amélioration continue » et insistant sur le « respect des attendus de l’Éducation nationale. Aux matières académiques s’ajoutent des travaux manuels des récits, des temps rituels, des activités nature… » L’important est surtout de « travailler en mode projet, de partir du sens pratique pour rejoindre la théorie ». Des voyages scolaires sont aussi au programme (Madrid cette année) et le théâtre est un passionnant moyen d’expression exploré dès la primaire, « en particulier sur des thématiques touchant à la citoyenneté ».
Émilie et les enseignants privilégient une approche pratique, avant de la relier à la théorie. Mais les moments au tableau existent aussi. © Baptiste Paquot / DBM
Les plus grands sont, chose si rare, éveillés à la question entrepreneuriale. En atteste la récente participation au festival des Mini-Entreprises 2024, organisé par l’association Entreprendre pour Apprendre BFC.
Émilie connait le sujet de l’entreprise par cœur. Une première vie comme cadre dans le secteur de la santé l’a doucement acheminée vers ce drôle de retour à l’école, avec « la prise de conscience que je n’avais pas forcément aimé ma scolarité, que j’avais besoin d’autre chose ». Une révélation en entrainant une autre, cette maman de deux enfants s’est formée à la création d’entreprise et aux subtilités de la pédagogie Steiner-Waldorf, tout en devenant enseignante suppléante avant le grand saut ici à Brognon.
Un vrai parcours du combattant pour créer « l’école de (ses) rêves », qui entre dans une phase importante de son existence. Une cinquième rentrée, des effectifs en progression, une académie de Dijon avec qui elle entretient de bonnes relations, signe aussi que la société s’ouvre de plus en plus aux différentes formes d’apprentissages… Et que, peut-être, ouvrir son cahier d’histoire page 137 pour bachoter par cœur n’est plus vraiment d’actualité.
Intelligence relationnelle
De saison en saison, Émilie s’aperçoit ainsi que sa pédagogie est particulièrement adaptée aux personnalités HPI, ou bien atteintes de troubles déficits de l’attention. Ces jeunes ont les mêmes rêves que les autres. Scientifique, comédien, biologiste, informaticien… Tous viennent à l’école « dans le but de devenir de jeunes adultes épanouis, qui avancent avec sérénité et n’ont pas peur d’oser ».
Petit ou grand, on apprend à évoluer ensemble. Le modèle coopératif remplace le concurrentiel, la curiosité intellectuelle est valorisée. Émilie et les enseignants cultivent une relation bienveillante mais pas naïve avec ces classes de petits effectifs.
Confiance mutuelle et auto-correction font partie de la boite à outils. L’enseignante évoque alors des vertus insoupçonnées de cette nouvelle école. « Nos ateliers développent le savoir-être et l’intelligence relationnelle. Le sens de l’humour est par exemple un vrai bagage », détaille Émilie, heureuse que cet apprentissage « ait une saveur différente ». À Brognon, depuis cinq rentrées, le chemin de l’école n’est donc plus tout à fait le même. Pas besoin de le noter dans le cahier : pour comprendre, il faut le vivre toute l’année.
👉 Groupe scolaire Les Saisons – 2 rue du Lavoir à Brognon – [email protected] – Journée portes ouvertes le 1er février 2025 à 14h – Ateliers créatifs du 24 au 28 février pour les 6-15 ans, de 8h30 à 18h – Programme sur ecole-des-saisons.fr