Les Établissements Bresson sont nés dans un moulin cistercien. Un siècle plus tard, dirigée par Catherine Racle, l’entreprise de Saulon-la-Chapelle est devenue un négoce en céréales, qui fait le lien entre agriculteurs et industrie, intimement lié aux incertitudes et aux espoirs du monde agricole. Rencontre avec une femme aussi souple que déterminée, tout sauf une « céréale killeuse ».
Par Dominique Bruillot
Pour Dijon-Beaune Mag #70
Photos : Jonas Jacquel
Une femme dans un monde masculin, une femme à la tête d’un négoce en céréales : Catherine Racle, héritière assumée d’une belle histoire familiale, puise dans la terre les raisons de s’interroger sur le sens que l’on donne à nos productions alimentaires. Son arrière-grand-père, Camille Bresson, avait démarré en 1920 dans un moulin construit par les moines de Cîteaux, puis une première collecte de 300 tonnes en 1945, dans la si campagnarde commune de Saulon-la-Chapelle devenue depuis si proche de Dijon.
Un siècle plus tard, la collecte atteint 140 000 tonnes et l’activité, totalement concentrée sur le négoce, se déploie sur une dizaine de sites capables de collecter et stocker, en un temps donné, la bagatelle de 93 000 tonnes de céréales.
Entre agriculture et industrie
Ces gros chiffres auraient de quoi impressionner le bobo lambda croquant sa barre de 100 grammes de céréales au milieu de son footing. En vérité, Bresson n’est pas une grosse machine dans son domaine. À la différence des coopératives qui s’organisent autour de coopérateurs (ça ne s’invente pas), son champ d’action se base sur un volant de 450 agriculteurs indépendants, qui sont autant fournisseurs que clients. Fournisseurs parce que Bresson leur trouve des débouchés à leur portée (meuniers, malteurs, fabricants d’huile, aliments pour le bétail…), clients, parce qu’elle leur propose aussi (et conseille) des produits phytopharmaceutiques (herbicides, fongicides, insecticides, oligo-éléments et tout le toutim), des semences, des engrais, des ficelles et des films à enrubanner. Tout ce dont ils ont besoin, en fait.
Transmission
Euh, vous avez dit quoi ? Herbicides ? Fongicides ? Insecticides ? « Que de sales et gros mots ! » , entendons-nous déjà depuis les quartiers « ouatés » de la proche métropole. Ne sombrons pas dans la caricature du tout bio, tout beau. « Une année très pluvieuse, par exemple, est propice à la prolifération de champignons qui sont dangereux pour l’homme. Ne pas intervenir serait encore plus dangereux », rappelle simplement Catherine Racle. « L’agriculteur d’aujourd’hui n’est pas insensible, loin s’en faut, à l’agriculture raisonnée ! » L’homme de la terre, effectivement, raisonne raisonnablement en chef d’entreprise. Il se veut garant de ses intérêts et des conséquences de ses actes sur le long terme.
Bresson, 37 salariés dont 29 représentants de la gente masculine (les dames sont dans les bureaux), intermédiaire privilégié entre deux mondes éminemment masculins, l’industrie et l’agriculture, est donc dirigé par une femme élégante qui, aujourd’hui, s’apprête à transmettre son affaire à ses deux enfants présents dans l’entreprise. « J’aurais aimé avoir des femmes chauffeurs (ndlr, le parc roulant comprend une dizaine de camions), des femmes sur le terrain », regrette toutefois Catherine Racle, qui ne désespère pas de voir la tendance s’inverser et se montre confiante en l’avenir : « Je sais que notre monde évolue dans le bon sens et que l’on aura toujours besoin des agriculteurs pour bien nourrir la population et entretenir les paysages. »
« Des fermes, pas des firmes ! »
La remarque est aussi sage que lucide. Solidaire de ces agriculteurs avec lesquels elle entretient un rapport affectif, la PDG sait à quel point ses interlocuteurs « aiment leur terre et sont terriblement désolés d’être un peu plus préoccupés par l’administratif et la réglementation que par la pérennité et l’usage de leurs sols ». Dans un pays et une Europe désespérément kafkaïennes, cela relève malheureusement de l’évidence.
Bresson se concentre notamment sur du blé destiné à l’alimentation humaine. Le négociant ne s’est donc pas engagé par hasard dans des normes contraignantes, assumant les engagements que représente, par exemple, une filière qualité comme le blé CRC (Culture Raisonnée Contrôlée) que l’on retrouve sous la marque Le blé de nos campagnes. Sur la page d’accueil du site de l’entreprise, une citation ne trompe personne sur les intentions de la maison : « Des fermes, pas des firmes ! »
Pas une céréale killeuse !
« Emmanuel Macron a promis les États généraux de l’alimentation en 2017. C’est bien, d’autant que sur le fait de mettre moins de produits phytosanitaires, tout le monde est d’accord », renchérit Catherine Racle tout en nuançant à propos d’une France qui « n’est pas un pays à mettre au palmarès des empoisonneurs. Nous en avons d’autres à combattre, outre-Atlantique ou ailleurs ». Dans un monde où les bonnes intentions se formulent dans les congrès et les universités, loin des sillons du labeur, les acteurs à la main verte sont souvent à l’écart des belles déclarations. « Les agriculteurs veulent se sentir moins seul et si le bio n’est pas une fin en soi, il faudra bien trouver des alternatives pour soigner plus encore la production. » Donc, d’ici à 2040, rien ne sera meilleur que le dialogue.
En attendant, Madame la dirigeante poursuit sa mission avec conviction. Présidente des négociants céréaliers du Centre-Est (il y en a 400 en France dont une poignée seulement sont dirigés par des femmes !), elle anticipe le monde agricole de demain, à sa façon, avec une touche féminine cela tombe sous le sens. « Je pratique un management participatif et m’appuie sur un encadrement et des salariés loyaux, sur des rapports de confiance. » Définitivement, tout en faisant mouche, Catherine Racle n’a rien d’une céréale killeuse !