Blessée dans sa « chaire » et son orgueil, l’université bourguignonne a renoué avec l’Unesco un an après avoir perdu une précieuse habilitation. Mais au passage, c’est le mot « vin » qui a trinqué, exclu définitivement du vocabulaire universel. On peut s’interroger sur les raisons profondes de cette disparition.
Billet issu de Bourgogne Magazine n°80, en kiosque
Par Dominique Bruillot
L’affaire n’a pas fait les gros titres de la presse nationale. Mais en Bourgogne, elle a secoué discrètement les rangs de vignes. En janvier 2023, dotée de ses pleins pouvoirs (parfois obscurs), l’Unesco retire son habilitation à la Chaire « Culture et Traditions du vin », basée à Dijon. Au pays des Climats et de la Cité de la Gastronomie qui honore le Repas des Français, deux autres sujets universels, alors même que la métropole accueille fièrement l’Organisation internationale de la Vigne et du Vin (OIV), ça fait plutôt désordre. Et un peu mal.
Pourtant, la chaire en question ne semblait pas avoir démérité. Le sujet traité dans sa version originelle (« Culture et Traditions du Vin ») la rendait unique au monde parmi le presque millier de chaires adoubées par l’organisation mondiale. Entrainant dans son sillage 70 universités réparties sur la planète et un réseau de 500 chercheurs, sous la direction de Jocelyne Pérard, cette chaire multiplie les colloques internationaux, les publications, les séminaires autour de thèmes transversaux tout en mobilisant étudiants, enseignants et chercheurs.
Bref, le job semble avoir été fait dans l’esprit des règles, mettant en valeur les critères que l’Unesco se plait à privilégier, de l’éducation équitable et inclusive à la diffusion des connaissances en passant par la protection de l’environnement et le déploiement des sciences et techniques qui favorisent ce développement.
« Savoir humer l’air »
Mais voilà, le champ international n’entend pas les choses sur le même air. En 2023, la chaire bourguignonne doit retourner à ses chères études. L’été fut donc studieux pour Jocelyne Pérard et son équipe. Cette climatologue de profession a revu ses prévisions et arguments en présentant finalement un dossier refait à neuf auprès de la commission, dixit, « Programme sur l’Homme et la biosphère de l’Unesco ».
Sur le fond, l’intéressée elle-même le confirme, pas grand-chose n’a changé. « Il faut savoir humer l’air, sentir les choses qui se passent à l’échelle de la France et à d’autres échelles pour prendre des mesures de sagesse », a-t-elle déclaré à nos confrères du site Infos Dijon. Une indiscrétion qui confirme que le mot « vin » ne fait pas recette partout. On peut même assurer, de source crédible, qu’il provoque l’horreur et l’indignation dans certains pays.
Culture n’est pas culte
Donc ne l’appelez plus « Culture et Traditions du vin », mais « Culture et Traditions vitivinicoles ». Tout ça pour ça, comme dirait l’autre. Nous voilà convaincus par un changement aussi spectaculaire. Un peu interpelés aussi. Le sens du mot « culture » est donc à géométrie variable. On peut même supposer que quelques parfums cultuels ont embaumé cet épisode révélateur d’une époque.
Mais il s’agit là, vraisemblablement, d’une mesure de façade, la réalité étant comme souvent ailleurs. Pour envoyer des signaux concordants, notre chaire revisitée a soutenu, en 2023, « une chercheuse spécialiste de la taille de la vigne qui a fui son pays, l’Iran, où il y a de la vigne mais pas pour faire du vin ». La jeune femme achèverait actuellement sa thèse auprès de l’Université de Strasbourg.
Dans le même temps, s’appuyant sur l’Institut Jules Guyot et la Maison des Sciences de l’Homme de Dijon, la désormais bien nommée « Cultures et Traditions vitivinicoles » poursuit sa mission et se réserve une bonne place pour, du 14 au 18 octobre, avoir un rôle de premier plan dans le congrès mondial de l’OIV qui rassemblera plus de cinquante pays et leurs ministres.
Mais comme cela se passera dans le cadre prestigieux du château du Clos de Vougeot, on les obligera tous à faire le ban bourguignon et à célébrer la devise de la confrérie : « Jamais en vain, toujours en vin. » En matière de sémantique, il n’y a jamais de petite victoire.