En expérimentant un incroyable jardin-forêt dans son parc, le Château de Meursault ouvre une voie culturale et s’offre une signature œnotouristique unique en son genre. Le domaine a un jardin, un château et bientôt une nouvelle cuverie. De quoi continuer à produire de grands vins et à les partager.
Au Château de Meursault, c’est bien simple, ils ne l’ont jamais vu comme ça. Stéphane Follin-Arbelet semble comme habité par un supplément d’âme depuis qu’une drôle de « forêt gourmande » pousse dans le parc en contrebas, au fil de la rivière Les Clous et de son clos de 8 ha, dont le chardonnay planté en 1975 donne un délicieux bourgogne blanc.
« Forêt gourmande », l’appellation pourrait faire sourire. Il ne s’agit pas de cultiver quelques framboises pour en faire des confitures made in Meursault. La démarche est beaucoup plus profonde, philosophique, tellurique. Elle rejoint évidemment les enjeux de notre époque : « Nous vivons de près le dérèglement climatique, on voit bien qu’il se passe quelque chose d’anormal. Les vignes supportent de moins en moins les écarts thermiques, la pression des maladies, le dépérissement de certains porte-greffes… », analyse celui qui dirige depuis douze ans les Châteaux de Meursault et de Marsannay.
Le biotope originel
L’observation a laissé place à l’action. Dix années de travail ont été nécessaires pour convertir totalement le domaine en bio, en 2022. 67 hectares en Côte de Beaune, pour une expression parcellaire très large (plus de 100 climats), dix-huit premiers crus et cinq grands crus. « Dire qu’on est bio, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant. L’enjeu est le vrai retour au soin de la terre, sans trop en faire. Pour cela, il nous faut des vignes en pleine santé, ce qui n’est possible qu’avec une terre saine. »
Il faut donc réfléchir à la source, s’interroger sur des nouvelles pratiques favorisant le biotope originel. Stéphane voit plus loin que son ouvrée de vignes. Il ne fait pas semblant de défricher le sujet, quitte à passer pour un jardinier illuminé. L’agroforesterie, pour ne prendre que cet exemple, est pourtant le choix de grands domaines précurseurs, à l’image de la forêt domestique du Château Cheval Blanc, dans le Bordelais.
La rencontre avec Fabrice Desjours
En parallèle de la magnifique rénovation de sa maison de maître, le Château de Meursault a donc créé toutes les conditions d’un jardin-forêt viticole. Plusieurs centaines d’espèces végétales, essentiellement nourricières, s’épanouissent sur les 400 mètres de berges. Ce corridor de biodiversité se propage aux rangs de vigne, où arbres (pêchers, amandiers…) et haies ont été méthodiquement plantés tous les neuf rangs. Patience, ils seront bientôt grands.
Les vertus écologiques et agronomiques sont facilement identifiables : meilleure gestion des espaces aquatiques, non-érosion des sols grâce aux racines, stockage carbone incomparable, robustesse de l’écosystème environnant, diversité nourricière…
Un juste retour des choses, finalement. « Dans les années 1900, il y avait parfois des vaches dans le parc », rappelle le gardien des lieux, qui fit la rencontre décisive de Fabrice Desjours en 2021. Il y a quinze ans, à Diconne dans la Bresse louhannaise, cet ancien infirmier a lancé une révolution silencieuse : planter des forêts où tout ce qui pousse se mange, dans le but de régénérer les écosystèmes. L’association Forêt Gourmande intervient depuis dans tout le pays, avec des partenaires institutionnels comme l’Inrae. Elle partage ses travaux avec des personnalités comme Jean-Marc Jancovici. Prodigieux et inspirant, estime Stéphane, touché dans son cœur et dans sa fibre d’ingénieur agronome.
« L’inspiration de Fabrice est à la fois simple et extraordinaire. Dans cette ripisylve nourricière – soit l’art de faire dialoguer les milieux terrestre et aquatique –, nous reconstituons le milieu naturel de la vigne composé de différentes strates végétales : des arbres, des arbustes, des lianes, des cépages nouveaux ou oubliés de raisins de table et des herbacées », témoigne le vigneron, devenu incollable sur un tas de variétés aux noms poétiques.
Une pharmacopée sur place
Poirier Nashi, Ginkgo biloba, Cédrèle de Chine dont on mange les feuilles et les jeunes pousses en salade, caseille (sorte d’hybride entre cassis et framboise), plantes mellifères comme le cabrillet de Dickson, arbre caoutchoutier gutta-percha, armoise cola et ses feuilles goûtant étonnamment le soda… Eden est ici chez lui. La liste de cette pharmacopée en puissance est étonnante. Stéphane se passionne de voir à quel point le pommier du Kazakhstan peut venir au secours de ses vignes.
Alors qu’il descend les berges en posant le regard sur la moindre essence, il s’arrête sur une espèce bien particulière. Celle-ci a gardé toute sa liberté de liane. Elle donnera de beaux raisins de table (une hérésie en temps normal à Meursault !), en s’enroulant autour d’un arbre ou en étant guidée à l’horizontale. « La vigne est une liane qui monte à 15 ou 20 mètres de haut, elle a naturellement les pieds dans l’eau et la tête au soleil, témoigne encore notre jardinier murisaltien. L’idée de montrer deux types de vignes, sauvage et domestiquée, nous a tout de suite séduits. Via les mycorhises dans le sol, le système racinaire de l’une entrera en communion avec l’autre. »
« Les gens sont séduits, ils voient notre travail, nous leur expliquons qu’on ne fait pas de grands vins sans une bonne terre et de très beaux raisins. »
Stéphane Follin-Arbelet, directeur général des Châteaux de Meursault et de Marsannay
Tout le monde en profite
Toutes ces interconnexions demandent une certaine acculturation. En plantant lui-même « avec ses petites mains et beaucoup d’huile de coude » en un temps record, le personnel des domaines de Meursault et Marsannay s’est formé sur le terrain. Son propriétaire Olivier Halley himself se met à partager des articles de presse scientifique avec son directeur.
Toutes les équipes sont impliquées. Pierre Roussel, le responsable œnotourisme (lire encadré), a enfilé les gants pour contribuer à ce jardin d’un nouveau genre, qui lui permet d’élargir sa vision des choses. Concernés au plus haut point, les chefs de culture des deux domaines échangent sur cette transformation des pratiques. « Certaines espèces donneront par exemple un purin d’excellente qualité, ce que nous faisons déjà avec l’ortie », imagine Stéphane.
Un circuit touristique unique
L’esthétique est aussi au cœur de l’affaire. Par ses qualités ornementales et le cadre déjà enchanteur qu’offre le château, ce circuit œnotouristique annonce un parcours visiteur assez unique en Bourgogne. L’approche sensorielle offre une interaction nouvelle avec un public de plus en plus en quête de sens. « Les gens sont séduits, ils voient notre travail, nous leur expliquons qu’on ne fait pas de grands vins sans une bonne terre et de très beaux raisins. » Ce lien est d’autant plus précieux au pays des climats, sacralisés par l’Unesco voilà dix ans avec une fête mémorable organisée ici-même.
Stéphane Follin-Arbelet entraine donc ses équipes dans cette voie passionnante, la dernière grande orientation sans doute avant de passer la main sereinement. Car tout est aussi question de transmission, notion ô combien sensible en Bourgogne.
Planter des arbres lui permet d’aller de découverte en découverte : « Au début, on tombe un peu des nues, puis au fur et à mesure, on est plein d’espérance. » Au Château de Meursault, effectivement, on ne l’a jamais vu comme ça. Les fruits de ce jardin gourmand sont gorgés de promesses nouvelles.
Un château pour le Château !
Le Château de Meursault n’avait plus… de château. La maison de maître du XVIIIe siècle était en tout cas inhabitée depuis 1945 et l’occupation allemande. Il était temps de la réhabiliter et d’offrir un écrin à la hauteur des vins du domaine, en même temps que la fameuse cuverie attenante. L’éco-conception était la règle d’or des cabinets Architectes Studio et Slowhome. En témoigne cette technologie de géothermie via 11 puits canadiens à 110m de profondeur, pour réchauffer ou rafraichir les lieux. Ouvert en mars dernier, le château nouveau est resplendissant. La terrasse donne sur le clos et cette forêt naissante. Sa pièce maitresse est indéniablement ce salon avec son plafond travaillé comme un tableau suspendu, réalisé par le restaurateur du château de Versailles excusez du peu. Ses luminaires dorés en font une signature incontestable. À l’étage, la passerelle donne sur un salon de dégustation chaleureux.
« Nous avons mille ans d’histoire, nos caves des XIIe, XIVe et XIXe siècles sont des joyaux qui ont permis d’être précurseurs de l’œnotourisme en Bourgogne dans les années 70 », rappelle Pierre Roussel (en photo ci-dessous). Le jeune responsable œnotourisme peut désormais accueillir « avec des dégustations commentées et un parcours enrichi » quelque 15 000 visiteurs annuels, tout en se projetant sur des événements de toute nature.
Viendra ensuite l’inauguration de la cuverie, autre projet du siècle pour le Château de Meursault. Les grues et la charpente mise à nue, sous laquelle on célébrait la fameuse Paulée de Meursault, témoignent de ce chantier pharaonique. « L’aile sud accueillera une petite cuverie pour nos premiers crus et grands crus rouges, de sorte à rentrer plus vite la vendange pour préserver sa qualité », commente Stéphane Follin-Arbelet. La Paulée inaugurale devrait être celle de 2026. Patience. Le Château de Meursault fait dans le temps long.