À la tête de deux établissements de nuit à Dijon, Christophe Le Mesnil n’oublie pas qu’il a puisé dans l’hôtellerie et la restauration de bonnes raisons de s’intéresser à l’apprentissage. Le président de feu le CFA La Noue confie sur le divan les raisons de son engagement passionné.
Propos recueillis par Dominique Bruillot
Pour Dijon-Beaune Mag #69
Vous êtes aujourd’hui à la tête du Chat Noir et du Bal’Tazar, deux hauts lieux de la nuit à Dijon. Quel rapport avec les métiers de l’apprentissage ?
J’ai travaillé dans le milieu de l’hôtellerie et la restauration jusqu’à l’âge de 29 ans, chez un traiteur, tour à tour plongeur et maître d’hôtel. J’ai ensuite ouvert ma première discothèque dans les Vosges avant de prendre mon affaire à Dijon où j’ai rencontré deux personnes en premier lieu, Thomas Barbier que vous connaissez bien et Jean-Louis Humbert, qui m’a conduit à des fonctions syndicales au sein de l’Umih, l’Union des Métiers de l’Industrie de l’Hôtellerie.
C’est alors que vous avez aussi croisé Gérard Morice ?
Quand Gérard a annoncé au conseil d’administration de l’Umih qu’il reprenait le CFA, on s’est dit : « Il est fou ! » La Noue, pour nous, c’était le dépôt de bilan programmé. Pourquoi risquer son image ? Aujourd’hui, quand je vois tout le travail fait, je suis ébahi.
Votre présidence en 2017 s’inscrit donc dans une continuité…
Le changement était engagé, les travaux commencés, le renouveau amorcé. L’image de l’ancien CFA n’était plus d’actualité, j’étais face à un projet d’avenir. Très vite, j’ai émis l’idée à Alain Tomczak de changer de nom, mais il y avait pensé aussi.
Un sacré pari, ce changement de nom !
On s’est fait aider par l’agence Propulse, recrutée par appel d’offres. Réunions, enquêtes externes et internes : ce travail a conforté nos décisions et ouvert sur de nouvelles choses.
C’était donc le moment ou jamais de surfer une nouvelle vague…
Il fallait marquer tous ces changements, ceux de l’apprentissage en général comme ceux directement du CFA, tous les voyants étaient au vert. Au même moment, les choses se sont accélérées. Même si la réforme est engagée en direction des filières professionnelles, il faut avoir conscience que la Région aura toujours un rôle dans le territoire, un apport d’équité entre les différents CFA.
Présider un CFA, c’est autre chose que diriger une entreprise ?
On attend tous de la transparence. Pour moi, la gestion d’un CFA est à l’opposé de celle d’une entreprise qui a son business plan et doit gagner de l’argent. Dans un CFA, tu attends d’avoir un nombre d’apprentis inscrits et l’année d’après on te dit combien tu vas avoir de subventions pour travailler. Tu n’as pas de vision à long terme. Demain, il faudra cesser de se battre pour la survie et aller vers des projets d’avenir, qui passent par la digitalisation et plein d’autres nouveautés. C’est ce que la réforme doit apporter.
C’est quoi, au juste, votre vision personnelle de l’apprenti ?
J’ai toujours dit que l’enseignement devait passer par la pratique. J’ai un parcours scolaire assez chaotique ; ce qui m’a manqué c’est d’avoir cette partie plus pratique. L’apprentissage c’est ça : être directement dans le monde du travail. Un apprenti, quand il sort de son cursus, est prêt à bosser dans une entreprise.
Que peut-on retirer de ce type d’engagement ?
C’est ma manière à moi de transmettre. Je n’ai pas cette possibilité dans mon entreprise. Je ne vais pas monter une école de la fête et de la drague (sourires) ! L’aboutissement, c’est la transmission. D’où ma relation avec les professeurs.
On sent comme un manque chez vous…
Oui, mais on est dans la psychologie, là !
On est aussi sur un divan, n’est-ce pas ?
Pas faux, c’est le sens de cet entretien. Si l’on veut pousser plus loin la psychologie, et considérer le fait d’avoir appris sur le tas, soit, je suis fier d’être là. J’ai rencontré des gens formidables au CFA, qui ont une envie de changement qui va a contrario de l’image que j’en avais. J’imaginais avoir affaire à des gens fonctionnarisés qui ne voulaient pas bouger de leurs lignes. En réalité, tu es devant et tout le monde te suit d’un bloc.
Pendant ce temps, Dijon fait le pari de la gastronomie et du vin. La nouvelle École des Métiers aurait-elle un message à faire passer dans ce contexte ?
Je dis tout simplement : ne nous oubliez pas, la gastronomie est riche d’enseignements, l’apprentissage en fait partie. De grands chefs de cuisine sont issus de l’apprentissage, mais aussi d’autres grands professionnels moins médiatisés comme de grands sommeliers ou issus des métiers de service.
Un établissement comme le vôtre se doit donc d’avoir une coloration territoriale.
Complètement. Des apprentissages vont vers les Contrats de Qualification Professionnelle à l’image des sommeliers. De plus, si on a déjà ce rayonnement régional de par nos origines, on envisage aussi très sérieusement un développement international engagé par mon prédécesseur. Cela passe par des partenariats engagés avec des pays importants dont la Chine. Demain, on s’ouvrira avec l’Irlande sur la base de véritables échanges gastronomiques. Nos périodes de fermeture seront propices à la réception des apprentis de l’étranger.
Au Chat Noir, vous devez rencontrer des apprentis… Ils vous voient comment ?
Quand ils viennent le jeudi soir, ils baissent la tête (sourires). Je leur dis : « Vous avez cours demain ? » Mais la différence entre un apprenti et un étudiant, de mon point de vue, c’est que dans son savoir-être, l’apprenti sait que le lendemain matin il devra assurer. Il sait mettre le curseur là où il faut, il est déjà dans le monde du travail. On a un sourire courtois quand je les croise. Il faut aussi savoir garder un temps pour chaque chose…