Invité de l’édition 2019 de Clameur(s), le festival littéraire de Dijon, Éric Reinhardt présentera notamment son dernier ouvrage, La Chambre des époux. Construit à la façon de poupées russes, ce roman écrit en écho à un épisode douloureux de la vie de l’auteur, révèle l’obsession d’Éric Reinhardt pour l’expérimentation formelle, « comme un sort jeté aux lecteurs ».
Propos recueillis par Emmanuelle de Jesus, agence ProScriptum
Pour Bourgogne Magazine 61
La Chambre des époux débute par une histoire vraie : il y a une dizaine d’années, alors qu’il peinait à rédiger son livre Cendrillon, Éric Reinhardt est confronté à l’annonce du cancer de son épouse. A la demande de cette dernière, il se met à sa table de travail et tandis qu’elle se bat, il écrit en un temps record le roman dont il lui lit l’avancée chaque jour. Elle va triompher du cancer, Cendrillon sera un succès… Cela aurait pu être un roman, qui se serait appelé Une seule fleur, mais ce n’est qu’un prélude auquel vient se greffer une autre histoire : celle de Nicolas, chef d’orchestre et de sa femme Mathilde, atteinte d’un cancer pour laquelle il compose et joue, dans l’intimité de leur chambre, jour après jour, une symphonie. Mathilde entre en rémission, la symphonie est un succès… Alors Nicolas – ou son double ? – rencontre une certaine Marie, malade elle aussi, pour laquelle il quittera Mathilde, le temps de « guérir » cette femme si attirante dans son agonie… ou de l’accompagner, par la musique encore, dans ses derniers instants. Conçus pour faire vivre au lecteur des montagnes russes émotionnelles et physiques, ces récits labyrinthiques interrogent aussi sur la duplication du romancier en multiples avatars et l’interpénétration du réel, de son double narratif et de la fiction.
Vous aimez que vos livres soient vécus comme des expériences sensibles…
À la base de mes écrits, l’idée de force est une expérimentation formelle, pas uniquement pour créer une forme, mais pour envoûter : le dispositif narratif est un sort jeté au lecteur. Je suis très imprégné d’œuvres plastiques quand j’écris, par l’architecture notamment, bien plus que par des romans. Dans La Chambre des époux, on passe d’un chapitre à l’autre comme d’une pièce à une autre et je voulais, au centre, cette histoire entre Nicolas et Marie, comme une pièce de lumière, une lumière silencieuse, immobile et douce. Je suis heureux que vous me parliez de ces émotions que l’on ressent physiquement car c’est ainsi, par l’expérience sensible, corporelle, que je voulais m’adresser aux lecteurs.
Ne plus aimer, c’est renoncer à regarder.
Éric Reinhardt, invité de l’édition 2019 de Clameur(s)
La Chambre des époux fait de l’artiste-créateur un démiurge dont l’art se croit capable de sauver des vies avec une double hypothèse : celle, heureuse, de Mathilde, et celle, dramatique, de Marie.
Nous sommes aidés dans nos vies par les êtres d’art et j’ai voulu pousser ce phénomène jusque dans ses retranchements. Quand ma femme se battait contre son cancer, que j’écrivais, je pense que tout ce qui nous poussait à être plus forts était le bienvenu. Notre vie se résumait à l’amour que l’on se disait par ce rituel, rien n’était plus important que cet amour absolu qui s’y exprimait. J’ai voulu écrire cette histoire et je n’y arrivais pas, jusqu’au jour où j’ai compris que je ne devais pas écrire ce roman et raconter mon impossibilité. Cette impossibilité de forme, ce roman fantôme, immatériel, était devenu le roman. Et à l’intérieur de celui-ci, celui qui envisage la mort de la femme aimée. C’était très traumatisant pour moi d’écrire sur la mort de Marie, j’ai vraiment été mis à l’épreuve par l’écriture de cette agonie.
Votre roman postule que l’art est capable de sauver des vies, mais que dit-il de l’amour ?
Dans mes livres, j’observe de façon très minutieuse la constitution de l’amour, y compris avec des choses qui pourraient paraître déplacées, comme ce que devient l’amour pendant un cancer. C’est à rebours de toutes les statistiques accablantes qui accompagnent le cancer dans un couple, mais je ne voulais pas parler uniquement de son caractère indigne, atroce, dégueulasse – ce qu’il est – mais dire aussi que l’on doit à ce moment être plus jamais du côté de la vie, se radicaliser, avoir la tête haute et le mépriser. J’en ai retenu, moi, la très grande beauté de notre communion. Il ne s’agit pas ici de faire de la propagande idéologique sur ce que doit être l’amour, mais j’ai voulu exprimer qu’un amour qui dure peut vraiment faire partie du tissu de la vie. L’amour est un travail, une exigence. Il est dans le regard que l’on pose sur l’autre : lorsqu’on n’aime plus, ce n’est pas parce que l’autre n’est plus « aimable », c’est parce que l’on a cessé d’en observer le mystère. Ne plus aimer, c’est renoncer à regarder.
Clameur(s) 2019, l’art et la matière
Pour sa 7e édition, le festival littéraire dijonnais a choisi comme intitulé : « Mon œil ! Le roman de l’art », en lien avec la réouverture du musée des Beaux-Arts rénové. Fiction, autofiction, doubles littéraires, matières littéraire et artistique, vies d’artistes… la palette est vaste et parmi celle-ci, on retiendra :
– Les plaidoieries, de vrais-faux procès littéraires avec polars « accusés », procureur et avocats pour les écrivains Samuel Delage, Julie Ewa, Hervé Jourdain et Elsa Roch le samedi 15 juin.
– Les rencontres avec les écrivains comme Laure Adler, Pascal Quignard, Éric Reinhardt, Florence Delay…
– Les ateliers d’écriture participatifs, à destination de tous types de groupes adultes et jeunes, qui se dérouleront en partenariat avec des musées de Dijon, à partir d’œuvres tirées de leurs collections.
– Exposition « Le patrimoine dans la peau », une sélection d’images des collections patrimoniales de la bibliothèque de Dijon (manuscrits médiévaux, estampes, gravures…) susceptibles d’inspirer des tatouages.
Clameur(s) 2019, du vendredi 14 au dimanche 16 juin au palais des États de Bourgogne (cours de Flore et de Bar), à l’hôtel de Vogüé ou encore place François-Rude. Programme complet en ligne.