La matière grasse devient plus rare. Philippe Delin anticipe l’approvisionnement de ce nouvel or jaune en investissant 6 millions d’euros dans une ligne d’emballage unique en Bourgogne-Franche-Comté, après avoir multiplié les collectes de lait régional pour sa fromagerie de Gilly-les-Cîteaux. Une stratégie qui s’explique comme un problème de robinetterie…
Gilly-les-Cîteaux, printemps 2022. Philippe Delin a bien fait de voir grand. Derrière son bâtiment encore neuf, débute la construction, sur 1 200 m2, d’une ligne de conditionnement. 6 millions d’euros, dont 4 pour le matériel, sont à nouveau investis. Et ça ne s’arrêtera pas là. Le patron de la fromagerie qui porte son nom lorgne sur deux hectares supplémentaires en vue d’un futur développement.
Problèmes de riche
Après avoir contracté de nombreux approvisionnements en lait dans les exploitations de Bourgogne-Franche-Comté, Delin veut maîtriser l’emballage. La stratégie consiste à ne pas dépendre du marché de la matière grasse, une denrée redevenue précieuse au gré des habitudes alimentaires. Une denrée surtout nécessaire à l’élaboration du fameux brillat-savarin et ses dérivés, étendards laitiers de l’établissement de Gilly-les-Cîteaux.
Cette histoire de matière grasse est un peu celle du serpent qui se mord la queue. Ou du morceau de pain qu’on reprend parce qu’il reste un peu de fromage dans l’assiette. Puis du petit verre de vin qui va avec, parce qu’un morceau de pain avec du fromage mérite toujours une gorgée de pinot ou de chardonnay. La fromagerie a de la même façon des problèmes de riche : « L’hiver dernier, nous n’avons pu fournir que la moitié de la demande », déclare celui qui devient, un peu malgré lui, un important producteur de lait stérilisé sur le marché supra régional.
La capacité d’absorption de la nouvelle ligne de conditionnement, la seule en Bourgogne-Franche-Comté, sera d’environ 15 millions de litres. Aujourd’hui, Delin produit à Gilly 25 000 brillat-savarins et cousins par jour. Soit 1 500 tonnes de fromages qui nécessitent peu ou prou 7,5 millions de litres de lait. S’y ajoutent les besoins des autres fromageries liées au groupe, dont l’imposante Chevillon en Haute-Marne. Cette famille représente un chiffre d’affaires global de 37 millions d’euros, dont 21 sont réalisés à Gilly.
« Fameuh » cheptel
Pour alimenter tout ça, il faut un « fameuh » cheptel de laitières. Explication en mode problème de robinet pour le certificat d’études : pour faire un brillat de 200 g digne de ce nom, il faut récupérer la moitié de la matière grasse de 5 litres de lait (l’autre moitié justifiant l’appellation demi-écrémé) et 0,8 litre de lait entier. Vous suivez ? Bon. Pour les cousins du Brillat, c’est un peu moins. D’où le résultat de 7,5 millions évoqué un peu plus haut.
Maintenant, regardons du côté de la production laitière. La fromagerie travaille avec 37 éleveurs répartis principalement entre 5 départements (Doubs, Jura, Côte-d’Or, Saône-et-Loire et Haute-Marne). Le 21 est leader de ce réseau, ce qui permet ainsi de valoriser deux fromages très locaux : le Nuiton et le Côte-d’Or. Or, une vache produit entre 5 et 12 litres de lait au quotidien selon la saison. Avec une cote mal taillée, on dira 2 500 litres par an, par animal. Le « réseau » bovin de Delin revendique 18 millions de litres annuels. On peut donc raisonnablement estimer sa population travailleuse à 7 200 têtes !
Pour l’excédent laitier, Philippe Delin passe à l’offensive territoriale, formidablement boostée par la période covidienne et les aspirations des départements, Côte-d’Or en tête, désireux de capitaliser sur la production de proximité qui porte leur marque. En 2021, la fromagerie a commercialisé 1,2 million de briques sous les couleurs de la Bourgogne-Franche-Comté, avec la photo des éleveurs-producteurs sur chaque emballage. En 2022, d’autres briques vont mettre en avant les départements. Pour le 21, terre de prédilection de la fromagerie, un grand lancement du lait 100 % Côte-d’Or se fera le 10 mai dans un autre fief de Philippe Delin, sportif celui-là : la JDA.
Cette politique territoriale s’accompagne de la valorisation de la production laitière, qui ira de la demi-brique bio à l’outre gros volume pour les pros de la restauration en passant par la brique traditionnelle. Elle défie les mastodontes du marché, Lactalis en tête, en garantissant à l’éleveur 45 à 50 centimes par litre de lait. Proximité et équité n’ont donc jamais fait aussi bon ménage. Un vrai programme de campagne électorale. Mais là, c’est dans la vraie vie.
Régulièrement, DBM et DijonBeaune.fr tirent le portrait d’un personnage influent de la région : entrepreneur, élu, personnalité… Bref, un décideur !
• #1 : Jean-Philippe Girard (Dijon Bourgogne Invest)