Bernard Pivot était un admirateur et un ambassadeur des vins de Bourgogne. Jacky Rigaux, spécialiste des vins de terroir, lui rend hommage.
Par Jacky Rigaux
Au revoir l’ami Bernard. Tu avais fait de cette belle phrase de Spinoza ton rapport à la vie : « La joie est l’augmentation de notre puissance d’agir, ce qui fait la vie en nous. » Tu as donné à la Bourgogne, pour l’éternité, cette géniale augmentation : « En Bourgogne, quand on parle d’un climat, on ne lève pas les yeux au ciel, on les baisse sur la terre. »
Toi l’homme du Beaujolais, tu n’en voulais pas à Philippe le Hardi d’avoir banni le déloyal gamay. Se repliant sur les terroirs granitiques du sud, il devint le fabuleux traducteur des beaux terroirs du Beaujolais, te donnant la joie d’écrire trois odes à ce magnifique terroir, le plus long et émouvant chapitre de ton Petit dictionnaire amoureux du vin (pages 43 à 65). Quelques pages plus loin, c’est à la Bourgogne que tu consacres un lumineux chapitre (pages 80 à 87), où est parfaitement résumée la philosophie des climats dont tu as accompagné le sacre à l’UNESCO, en acceptant avec joie la présidence du comité de soutien, pour une inscription le 4 juillet 2015 sur la liste du patrimoine mondial, comme le berceau et l’archétype de la viticulture de terroir dans le monde.
Classement essentiel en ces temps où le rouleau compresseur de la mondialisation a industrialisé toutes les productions agricoles. La philosophie des climats en est la résistance la plus novatrice, sachant que leur existence est millénaire, « que cela fonctionne ainsi depuis longtemps. » « Dans un marché vinicole mondial de plus en plus standardisé, il est certain que le terroir bourguignon, si le vigneron s’emploie, pour chaque millésime, à en tirer le meilleur, restera, comme on dit dans les brasseries autour de la Bourse, une valeur refuge. » (page 86)
Gardien de la vérité bourguignonne des climats, tu l’es aussi de la meilleure façon de les apprécier, ces vins de climats à la diversité quasi insondable. « Le bourgogne exige des licheurs patentés de la force de caractère. Ne pas tout consommer quand, jeune, irrésistiblement sensuel dans ses couleurs, jaune aux reflets verts, ou rouge vermeil ou rubis, fruit défendu, il donne envie de mordre dedans. Par une gestion œnologique de notre gourmandise, nous devons être capables de mettre d’un côté les bouteilles qui auront la vie courte et celles que nous accompagnerons longtemps. Des premières nous obtiendrons une explosion d’arômes, de jardin pour les blancs, de verger pour les rouges ; des secondes nous attendrons des bouquets de fragrances subtiles que le palais et la langue devront découvrir, le nez ne suffisant plus à la tâche. » (p.87)