Domaine de La Cras : tout part de là !

Jean Dubois y planta des vignes en 1983. Trente ans plus tard, la Métropole rachetait les 150 ha du plateau de La Cras, dont un domaine viticole, pour impulser sa grande politique de terroir. Retour sur un acte fondateur.

Marc Soyard, gérant du domaine de La Cras. © Antoine Martel / Dijon Capitale

Il y croyait fort. En plantant quelques rangs de pinot noir et de chardonnay dès 1983 dans le « far west » dijonnais, Jean Dubois a posé les bases du domaine de La Cras. Méthodique et paysan dans l’âme, ce céréalier natif de Plombières a construit un petit domaine cohérent. À sa mort en 1999, il fut relayé par son neveu Christophe Perrin, disparu prématurément dix ans plus tard.

En 2013, le Grand Dijon lorgne sur 150 ha du plateau et active son droit de préemption auprès de la Safer. L’exploitation, mise à la vente et jusqu’ici entretenue par le vigneron de Marsannay Christophe Bouvier, est intégrée au « package ». Cette acquisition foncière, sans précédent en France, fait causer dans le Landerneau. Quatre mille logements ici, vraiment ? Que nenni. Le plateau préservé se consacrera à des œuvres meilleures. « Un choix fort de protection des terres de proximité, qui conditionne toute notre politique de transition alimentaire et d’agroécologie », commente Philippe Lemanceau, vice-président de la métropole en charge de la transition alimentaire

« J’ai goûté les blancs » 

Le projet de la Cité de la Gastronomie bouscule les codes et les priorités de la capitale bourguignonne, dont le maire François Rebsamen acte l’achat de La Cras fin 2013, contre une somme avoisinant 1,3 million d’euros. Mais alors, qui pour faire décoller le volet viticole, dont la réputation peine à dépasser son pré carré ? Marc Soyard (en photo) sera l’élu. Le jeune viticulteur originaire de Saint-Claude, dans le Jura, a fait ses armes dans le confidentiel et prestigieux domaine Bizot à Vosne-Romanée. Au départ, avant de candidater, le jeune trentenaire est comme tout le monde : La Cras, connait pas. « Puis je me suis intéressé au terroir, j’ai goûté les blancs qui avaient un certain potentiel », reconnait après coup l’intéressé, finalement emballé par le potentiel géologique, sur des sols caillouteux aux pentes calcaires apparentés à ceux des Hautes Côtes de Nuits.

De millésime en millésime, Marc a imprimé sa patte biodynamique, volontiers non interventionniste. Le style « nature » ne matche pas avec tous les palais, l’intéressé en convient, mais il a ses adeptes. « Au début, je vendais mes raisins à des négoces, avec l’ambition d’être en capacité de tout vinifier d’ici dix ans. Finalement, cela m’a pris moitié moins de temps », rembobine le grand gaillard d’1m91, dont les étiquettes portent la mention « Coteaux de Dijon », tolérée par l’administration. 2 000 bouteilles sont confiées chaque année à Dijon Métropole dans le cadre du contrat qui les lie.  

La cuverie est le premier signe de cette évolution. « D’une trentaine de fûts à mon arrivée, j’en compte maintenant plus de 200, avec des grands contenants pour certaines cuvées », explique celui qui a immédiatement remisé le pigeur automatique au profit d’une approche moins robotique.

Forza Italia ! 

La Cras est devenu un projet de famille. Le vigneron est fraichement propriétaire de la maison qui jouxte l’exploitation,  avec son épouse et une fillette de 3 ans. Sans oublier Pignolo, un matou recueilli par hasard « et qui te colle aux basques pendant les vendanges ». 

Côté vignes, Marc replante dès qu’il le  peut. Il a élargi le domaine sur le Montrecul en 2015 et Les Epoutières à Talant en 2017, tout en menant de front une petite activité de négoce qui se promène entre Ladoix et les Hautes-Côtes de Nuits. Le Jurassien est même allé jusqu’à planter du savagnin et du trousseau dans la plaine de Saône, pour voir, assumant son vin sans indication géographique (VSIG). Il est devenu aussi agriculteur via sa belle famille, avec une trentaine d’hectares de culture céréalière. 

Les vins du domaine de La Cras, eux, atterrissent sur quelques tables locales ou partent à l’export. L’Italie, le Japon et les États Unis adorent. Avec la simplicité qui le caractérise, Marc sort ainsi une ribambelle de maillots offerts par des footballeurs italiens de passage en Bourgogne. « On se parle par WhatsApp, ils partagent des photos de dégustation, ce sont de vrais amateurs. L’un d’entre eux est même intéressé par un stage au domaine en vue d’une reconversion », s’amuse le vigneron. C’est ainsi qu’un flacon de Dijon voyage dans un jet privé ou entre les mains d’un grand sommelier romain. La Cras, forza Italia !

📚 À lire dans Dijon Capitale n°9 – Disponible chez nos dépositaires habituels et à feuilleter en ligne