Retirée dans sa maison de Saulieu, Dominique Loiseau prend plaisir à goûter les plats que lui prépare son fils Bastien et à se consacrer pleinement à son jardin. Ce temps de confinement, la dirigeante du groupe Loiseau a choisi de le vivre avec le recul et la sérénité qu’elle doit à son parcours. Apologie de la philosophie de la main verte.
Par Dominique Bruillot
À croire qu’elle en a perdu la notion du temps. « Depuis une semaine, je ne me suis pas ennuyée un seul instant. » Euh, Dominique, nous sommes confinés depuis plus de 3 semaines (ndlr, entretien réalisé le 7 avril)… « Ah, je ne m’en étais même pas rendu compte ! » Retirée des réalités, Dominique Loiseau ? Pas vraiment. « Je fais le dos rond, un peu comme pendant la guerre du Golfe, il faut garder le moral. » Du jour au lendemain, il lui a fallu composer avec le confinement. « Tout est fermé, nous avons juste une réceptionniste le matin, pour les appels et les réservations. »
Elle peut aussi compter sur la rigueur et la pugnacité d’Ahlame Buisard. Pleinement impliquée dans la gestion de crise, la directrice générale compose avec les aspects que suppose le sort d’un groupe aussi prestigieux et emblématique que Bernard Loiseau, qui emploie 150 personnes dans ses différents établissements (Saulieu, Dijon, Beaune et Paris), et se retrouve en arrêt total, comme la majorité du secteur CHR. « Elle est forte dans ce domaine », conclut sobrement la présidente du groupe.
Expérience et quiétude
Dominique Loiseau, c’est un secret pour personne (encore moins pour Wikipédia), a franchi avec grâce le cap de la soixantaine. Elle est en pleine forme, sereine et rayonnante, même par gros temps, habituée à affronter les coups les plus rudes. La guerrière n’a pas volé cette quiétude au regard de l’engagement qui a été le sien depuis la disparition du grand Bernard. Le chef nous manque tant. On aurait aimé le voir, lui aussi, agir et réagir dans cette étrange période que nous traversons tous.
Ce qui occupe l’esprit de Dominique, c’est son jardin. Jusqu’ici, rien de neuf. Sauf que le confinement la lie physiquement à sa maison, dans un environnement qu’elle partage avec le plus discret de ses trois enfants, Bastien. Une bonne cohabitation, car ce dernier est gourmand (on ne renie rien et surtout pas ça dans la famille !) et cuisine à la Loiseau, « des bonnes tartes, des quiches », à l’ancienne, jusqu’au bout, jusqu’à ce pain si fondateur qui fait désormais partie des grands plaisirs retrouvés. « Je voudrais qu’il me fasse des vraies pâtes, comme sa grand-mère », suggère la souche alsacienne de sa maman.
Jardin vivant, « Blanquette » au Japon
« Bastien fait les courses et à manger, il a mis aussi des nichoirs un peu partout. Moi je n’ai pas le temps, je suis occupée du matin jusqu’au soir. » Le jardin explique à lui seul ce surmenage terrien. Depuis trois jours, elle en a même perdu son téléphone portable, de couleur rose. Ce qui ne semble pas l’inquiéter plus que ça. Munie de l’iPhone de Bastien, elle commence sa visite : « Je te montre ma terrasse, mon jardin, tout est jonché de forsythias. » Les robustes arbustes sont en fleurs. Ils répondent de leur jaune vif au vert en réveil des arbres. Ainsi qu’au blanc majestueux des « rosiers Dominique Loiseau », créés par Delbard au début des années 2000, dans le cadre d’une collection réalisée en hommage aux grands chefs.
Les canards s’épanouissent dans la pêcherie qui fut sans doute, à une autre époque, un bassin de tanneur. « Ce sont des canards d’ornement, ils essaient de nicher, on se parle. » Mais les poules naines se sont tues. En une nuit, un rôdeur en a mis une douzaine entre ses mâchoires. La nature est impitoyable, elle nous le rappelle sans cesse. Heureusement, le spectacle printanier est de toute beauté. « Regarde mon séquoia, c’est une pièce maîtresse, et ces petites primevères que je plante tout autour pour que ce soit joli. » Dominique Loiseau a la main verte. Et comme toujours, quand on a comme elle le devoir de l’excellence, un souci constant du beau.
« On doit revenir à des valeurs sûres, ce temps de retrait incite à la méditation. Je n’ai pas toujours été comme ça, je le sais, mais aujourd’hui je vois le monde différemment, pour mes enfants et mes petits-enfants. »
À côté de l’ancien pigeonnier, patiente la voiture de Blanche. « Ma Blanquette, comme la surnomme affectueusement sa maman, est au Japon depuis quelques mois. Elle entre à peine en confinement, mais elle s’adapte à tout, tant qu’elle peut se faire des bons repas. Avec trois fois rien elle peut faire du bon » !
En rythme avec la nature
Puis il y a cette vierge qui rassemble les prières de la petite famille, ou bien cette tombe du chat Marguerite, statufié dans la pierre. Elles font partie du paysage intime de la famille Loiseau. Ce jardin est le jardin de la mémoire. Avec son râteau rouillé et ses « vieux outils adorés », Dominique Loiseau s’éloigne de l’image de l’élégante ambassadrice de l’hôtellerie française à travers le monde qu’elle montre par ailleurs. « Les voyages me fatiguent plus qu’avant, je laisse ça à Bérangère, ma fille aînée, en convient l’intéressée. Je préfère vivre en rythme avec la nature, mes canards, le silence. » De capitaine d’industrie, la voilà transformée en philosophe du terroir : « On doit revenir à des valeurs sûres, ce temps de retrait incite à la méditation. Je n’ai pas toujours été comme ça, je le sais, mais aujourd’hui je vois le monde différemment, pour mes enfants et mes petits-enfants. »
« Les clients reviendront progressivement chez nous avec l’objectif d’oublier leurs soucis, ce que nous leur permettrons de faire, avec des produits locaux, du savoir-faire et le goût de recevoir, comme nous l’avons toujours fait. »
Il est cependant toujours bon de se souvenir que l’ancienne journaliste est titulaire d’un bac de biochimie et d’une maîtrise de microbiologie. « Jamais nous n’avions parlé de la possibilité d’une pandémie en Europe, s’étonne-t-elle avec lucidité. Le confinement est le meilleur moyen de se protéger, d’autant qu’il est assez facile à supporter à Saulieu. » La presse régionale et la radio demeurent ses sources d’information. « Je suis marquée par toutes les initiatives qui sont prises, comme la fabrication des masques à Semur-en-Auxois, par la maroquinerie Thomas. » Demain s’ouvrira sur une autre époque. Rien ne devra changer au Relais Bernard Loiseau, pas plus qu’à Loiseau des Ducs (Dijon), des Vignes (Beaune) ou au Rive Gauche (Paris) . « Les clients reviendront progressivement chez nous avec l’objectif d’oublier leurs soucis, ce que nous leur permettrons de faire, avec des produits locaux, du savoir-faire et le goût de recevoir, comme nous l’avons toujours fait. » Le coronavirus passera, les grands et vrais plaisirs de la vie lui survivront.