Son cinquième mandat ne sera peut-être pas le dernier. L’ère de l’après-Cité n’est pas encore arrivée. Le maire de Beaune et président de l’agglomération a encore des projets à mener, en tant que VRP décomplexé de sa ville. Interview « prise de hauteur », à 20m, depuis le belvédère.
La Cité des Climats de Beaune a été inaugurée le 16 juin. Depuis tout là-haut, comment se sent-on ?
Alain Suguenot : « Très bien. Le geste architectural est exceptionnel, il rappelle à certains égards Niemeyer. Il fallait une réalisation contemporaine, qui symbolise la minéralité bourguignonne. Le tout dans un cadre végétal préservé, ce parc de la Chartreuse « zéro carbone » sur plus de neuf hectares. Dans dix ans, les arbres matures formeront une canopée qui dévoilera progressivement notre totem minéral. À 20 m de haut, on ne verra quasiment plus l’environnement ouest et la zone économique de Beaune.
Il reste encore à bâtir la partie privée du projet…
Oui, nous sommes ici dans le premier étage de la fusée. Un nouveau quartier verra le jour avec l’implantation des halles œnotouristique et événementielle, dans un esprit « food court » ouvert aux familles et aux amateurs de vin. À côté, l’hôtel 4 étoiles de Christophe Lambert et Michel Halimi sera inauguré avant le printemps 2024.
Pour les halles, cela dit, un promoteur peut en cacher un autre.
La remontée des taux d’intérêts tend le marché de l’immobilier et rend la vie dure aux promoteurs. Le conseil municipal a dû écarter le projet lyonnais (ndlr, Anahome, choisi en 2019). Le trio Cité publique, hôtel et cité événementielle doivent être associés dans un délai convenable. Nous venons d’acter la réalisation de cette partie privée à 3CI, société familiale basée à Albi, avec une promesse de vente fin novembre qui porte sur 15 000 m2 moyennant 1,2 million d’euros. J’ai bon espoir que d’ici 18 mois, le bâti sorte de terre.
Quel sera le sens de cette partie « événementielle » ?
J’aimerais l’associer à la thématique de la mémoire de l’eau. Beaune, c’est Belena, déesse des eaux vives, et la Bouzaize coule ici – la Ville va d’ailleurs réaménager ses berges pour la connecter à la Cité. Je tiens personnellement à être corédacteur du projet.
Vous êtes donc sur tous les fronts, culturel et économique…
De maire, je suis passé à développeur, en allant chercher des investisseurs comme Bert Wohrmann, du groupe hôtelier hollandais Van der Valk, qui va s’implanter là-bas (ndlr, il pointe l’autre côté de l’autoroute, vers Levernois). Un nouveau pôle touristique, avec activités ludiques et sportives, naitra et nous le connecterons en passant sous l’autoroute. À 72 ans, j’ai l’ambition d’être un VRP pour ma ville et une assistante sociale pour ses habitants.
Que reste-t-il à mener ?
Un projet de société pour les jeunes beaunois, qui ont été un peu les oubliés de l’histoire par défaut de formation. Il faut éviter la dichotomie entre une ville pour les touristes du monde entier et un ghetto pour les Beaunois. C’est le grand jeu des équilibres, pour que nos jeunes puissent prendre un verre place Carnot sans y passer leur salaire. Beaune, 21 000 habitants, est passée de 14 % de taux de chômage à 3 %, mais cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas de travailleurs pauvres. Il faut valoriser les métiers en tension avec la mise en place de formations qualifiantes.
Beaune manque-t-elle d’une grande école ?
Nous ne serons jamais une ville universitaire, mais je crois aux effets de niches : les ateliers du cinéma de Claude Lelouch, le seul master 2 de cybersécurité en BFC en lien avec le Greta et l’Esirem, et je n’ai pas dit mon dernier mot en ce qui concerne la santé et la recherche. J’en appelle à des fonds privés pour constituer des formations d’excellence dans ce domaine. Beaune n’a pas vocation à capitaliser uniquement sur son patrimoine ancien, il faut sublimer l’héritage de Nicolas Rolin et Guigone de Salins.
Dans votre discours d’inauguration de la Cité, vous n’avez pas manqué de remercier Nicolas Rolin, qui vous a « donné envie de faire partie de l’histoire de Beaune ».
La philosophie de Nicolas était proche de celle d’un développeur. Avec son aura, ses réseaux et la confiance de son duc, il en a fait profiter les autres. Quand on a une antériorité comme la mienne au service de sa ville, on devient corvéable à merci. Je n’aurais un seul reproche à lui faire : il a précipité la fin de Jeanne d’Arc en conseillant de la livrer aux Anglais par souci diplomatique. Un pêché qu’il a bien tenté d’expier. Pour l’anecdote, le premier fief de Nicolas Rolin entre Autun et Beaune était le château de Gamay, le vieux caillou où j’habite…
Est-ce le dernier mandat du chancelier Suguenot ?
Si je venais à mener une nouvelle liste, de toute évidence, ce ne sera pas pour faire un mandat complet.
À vous écouter, il n’y aurait pas que les Hospices dans la vie…
Les Hospices sont à la fois constitutives de Beaune, et à part. L’Hôtel-Dieu va d’ailleurs atteindre le cap record des 500 000 visiteurs cette année si tout va bien. Mais, dans la façon de les concevoir aux XIXe ou XXe siècles, cela avait cannibalisé la ville. C’est le sens de la Cité, décentraliser et reverdir.
On sent, au fond, l’idée de transcender cette image d’une vieille ville de vin qui s’anime en novembre puis se rendort.
Avec l’ancien maire de Bruges, nous avons évoqué les façons de faire de nos villes des destinations douze mois dans l’année. Beaune est la capitale des vins de Bourgogne et bénéficie de cette image, comment le déplorer, mais j’ai pour ma ville une vision plus contemporaine tout en étant respectueuse de ses liens historiques. La culture est notre pilier. Beaune doit devenir une « marque magique » – que j’ai faite déposer, en tant qu’ancien avocat spécialiste de l’Inpi – avec une offre très diversifiée pour aller chercher d’autres publics, des familles, des enfants. J’en reviens à la partie privé de la Cité.
Dans cette configuration, le Musée du Vin a-t-il encore un sens ?
De 60 000 visiteurs, il est passé à 35 000. J’ai assumé de le laisser s’endormir pour le réveiller sous un autre projet. Nous allons faire l’Hôtel des ducs de Bourgogne, car on ne parle pas assez ici des Capétiens – dont Beaune était la capitale – et des Valois. J’ai confié le soin à Charlotte Fougère, adjointe aux grands projets, de développer cette ambition culturelle qui intègrera dans sa réflexion le beffroi et l’ancien castrum.
Le domaine des Hospices de Beaune concerne Saint-Romain et Pouilly-Fuissé. Peut-il être encore élargi à d’autres appellations exogènes ?
À une époque, il était question des Hospices de Beaujeu. On nous a proposé récemment un don de vignes à Vézelay et, même si c’est un peu compliqué, j’y suis très favorable. Le vignoble est monté en gamme et la symbolique avec Marie-Madeleine est évidente. Cela se fera peut-être un jour, même si Ludivine (Griveau-Gemma, la régisseuse du domaine) est déjà bien occupée.
Et elle ne s’en sort pas trop mal…
(il coupe) Contre vents et marées au départ. Puis elle a mis tout le monde d’accord. Son dixième millésime sera bio en 2024. C’est une grande vigneronne doublée d’une très bonne communicante.
Pour la Vente, les présidents sont depuis toujours votre chasse gardée. C’est votre côté « people » ?
C’est de plus en plus difficile, car je n’invite pas ceux qui sont déjà venus. Et comme je suis resté marqué par mon prédécesseur, qui se retrouvait parfois sans président la veille de l’événement, je double, voire triple ou quadruple les invitations. Je leur téléphone personnellement, grâce à quelques « rabatteurs » du showbiz (sourires). Claude Lelouch nous a rendus des services plusieurs fois.
Vous rappelez-vous du président de votre première vente comme maire, en 1995 ?
(Il réfléchit brièvement) Catherine Deneuve. D’ailleurs, elle m’a fait gagner quelques années chez les chevaliers du Tastevin, la confrérie m’ayant fait passer un peu plus vite que prévu de chevalier à commandeur pour le chapite de la Vente des vins. En tant que grand officier aujourd’hui, je pourrais avoir la robe, mais rassurez-vous, je ne brigue pas le mandat de grand maître…
Ces peoples, connaissent-ils cet événement que l’on se plait à décrire comme mondial ?
Non. Un sur trois en a entendu parler, tout au plus. Il y a une pédagogie élémentaire à développer et quelques astuces protocolaires… Il y a des codes, à Beaune. Je les récupère au Cep et passe 48h avec eux, comme une nounou. Puis je les mets un peu au boulot.
Le VRP, encore…
C’est un autre métier, celui de confident. Beaune semble pour ces personnalités une parenthèse. On frôle la psychanalyse et cela ne cesse de m’étonner. En l’espace d’un week-end, on ressent leur vulnérabilité, car ils fonctionnent tous à l’affect. On comprend un peu mieux les coulisses de la sphère médiatique. Les femmes se livrent beaucoup plus qu’on ne l’imagine : Carla Bruni, Clotilde Courau, Claire Chazal… Le dimanche soir, on se fait la bise et on a le sentiment de se connaitre depuis toujours.
À cette époque de l’année, on pense aussi beaucoup à Antoine Jacquet, l’ancien directeur des Hospices, décédé brutalement en 2016 au cours d’un voyage promotionnel en Chine…
Si la Vente s’est modernisée et mondialisée sous l’effet des grandes maisons comme Christie’s et Sotheby’s, c’est grâce à lui. Je connaissais Antoine depuis toujours, nous avons passé une partie de nos études ensemble, il était comme un frère. Il aimait profondément Beaune. Son épouse l’y a aidé d’ailleurs. Il avait l’étoffe d’un grand patron de CHU et avait choisi, avec son cœur, le supplément d’âme beaunois. »