Pendant plus de 30 ans, Dijon a inscrit sa silhouette sur la trajectoire du mythique Mistral, à l’honneur ce week-end. Ce fut la seule gare de Bourgogne à bénéficier d’un arrêt sur la ligne. Juste avant que le TGV ne décide de fendre le Morvan, la cité des Ducs incarnait le « droit chemin » entre Paris et Lyon. Véritable mémoire vivante de l’histoire cheminote de la région, Gaby Bachet se souvient…
Par Michel Giraud
Pour Bourgogne Magazine N°51
Photos : collection Gaby Bachet
À l’origine, le Mistral effectue trois arrêts entre Paris et Marseille (Dijon, Valence et Lyon), auxquels il faut ajouter Laroche-Migennes, où débutait l’électrification de la ligne et où le train changeait de motrice. Ce n’est que plus tard (en octobre 1952) que la ligne sera prolongée jusqu’à Nice, via Toulon, Cannes ou Antibes. Dès sa mise en service, le 14 mai 1950, les Dijonnais font donc la connaissance avec ce train d’un genre nouveau.
Une escale ferroviaire réputée
« Il faut se souvenir que Dijon doit beaucoup en matière ferroviaire à Henry Darcy, précise d’emblée Gaby Bachet, ancien cheminot devenu historien du rail en Bourgogne. C’est lui qui s’est battu au XIXèmesiècle pour que la ligne Paris-Lyon ne passe pas par le Morvan, mais bien par Dijon. Au fil des décennies, la ville va donc monter en puissance. Le dépôt, les ateliers, les bureaux… Dijon est un centre ferroviaire de premier plan, à tel point que dans l’entre-deux-guerres, on dénombre 5 000 cheminots dans la cité. Pour le Mistral, Dijon est donc un passage obligé, car c’est la ligne la plus rapide pour rejoindre Paris à Lyon. C’est d’ailleurs la seule grande ville entre les deux, la seule à disposer d’un potentiel de clients à même d’être intéressés par le Mistral. »
Surtout, Dijon a la chance de son malheur. Vous connaissez l’histoire : la gare de Dijon-Ville a été en grande partie détruite par la Seconde Guerre mondiale. Il ne reste quasiment plus rien au sortir du conflit. Tout est à reconstruire : « Et c’est là que les ingénieurs de l’époque vont avoir l’opportunité de la reconstruire intelligemment. Dès 1947, ils vont réfléchir à augmenter la longueur des quais, à diminuer les courbes… Ils anticipent l’évolution des trains. Et ces nouveaux équipements, modernes, joueront forcément un rôle important au moment de décider de l’arrêt du Mistral. » Avec l’Orient Express, Dijon avait déjà une habitude historique dans l’accueil des grands trains internationaux. Qui plus est, quelques mois avant le premier voyage du Mistral, seule la portion entre Laroche-Migennes et Dijon est électrifiée, ce qui représente aussi un atout pour la ville.
Dijon-Ville entre Mistral et Cisalpin
En 1954, le train a pris sa vitesse de croisière. Le Mistral s’arrête alors deux fois par jour à Dijon. A 15 h 32 dans le sens de la descente, dit « impair » dans le jargon cheminot (arrivée vers minuit à Nice) ; à 20 h 23 dans le sens de la remontée, dit « pair » (arrivée à Paris à 23 heures). A chaque fois, 2 ou 3 minutes d’arrêt, pas plus. Plus tard, les horaires s’adapteront à la vitesse grandissante du train : « Pendant quatre ans, entre 1965 et 1969, le Mistral ne s’arrêtera à Dijon qu’une seule fois par jour, dans le sens de la descente. Car à l’époque, la gare de Dijon-Ville a la chance d’accueillir un autre train prestigieux : le Cisalpin, qui relie Paris à Milan. Or, ce train express passe par Dijon dans le même créneau horaire que la remontée du Mistral, sur le même tracé forcément. Ceci étant, la SNCF décida de ne pas doubler les trains, pour des raisons d’économie, mais surtout parce que cela permettait au Mistral de gagner 5 minutes sur l’arrivée à Paris, et aux voyageurs qui passent à table à cette heure-là, de gagner en tranquillité ! »
Après plus de 30 ans de bonnes relations, le Mistral passe pour la dernière fois en gare de Dijon-Ville le 23 mai 1982, détrôné par le TGV Sud-Est qui a vu le jour un an plus tôt. Ce dernier par contre suit un parcours plus direct, tracé au pied du Morvan. Exit Dijon, ce sont les gares de Montchanin et de Mâcon qui deviennent alors les nouvelles haltes bourguignonnes estampillées « grande vitesse ».
Le prix du luxe
Avec sa voiture Pullman, son wagon restaurant, puis plus tard son service de secrétariat et même son salon de coiffure, le Mistral incarne le luxe ferroviaire dès son entrée en service. « L’histoire se souviendra aussi que c’est avec le Mistral que les français découvrent les voitures climatisées. A l’époque, nous ne sommes pas loin du meilleur confort d’Europe », rappelle Gaby Bachet. Un luxe qui se paie : « Pour emprunter le Mistral, il faut s’acquitter d’un supplément au prix du billet de train classique. Dans les années 50, il faut ainsi débourser 300 francs supplémentaires pour effectuer le trajet entre Paris et Dijon, et plus de 1 000 francs* pour relier les deux extrémités de la ligne, une somme considérable pour l’époque* ! Mais il y a alors une vraie demande, et le Mistral va se faire une clientèle, surtout constituée d’hommes d’affaires. »
* Smig horaire 1964 : 2 FF (soit environ 350 FF pour un mois de 174 h)