Révélation. Les Anglais mangeaient des grenouilles il y a plus de 8 000 ans. En réaction à ce cataclysme gastronomique qui casse le mythe, Patrick Bertron, le chef triplement étoilé de Saulieu, gardien des légendaires jambonnettes de Bernard Loiseau, se dit prêt à relever le défi d’un plat de grenouilles conçu pour les gastronomes d’Outre-Manche. It’s so good.
La grenouille qui veut parfois se faire plus grosse que le bœuf aurait croassé dans l’assiette des rosbifs bien avant celle des froggies. C’est ce que tentent de nous faire croire depuis hier quelques grands médias sérieux comme Le Point et Le Figaro, en faisant référence à la découverte surprenante de quelques archéologues, dans le sud de l’Angleterre, sur le site mégalithique de Stonehenge. Au pied des pierres suspendues, ils auraient donc trouvé, parmi les traces résiduelles d’un repas vieux de 8 000 ans, entre le poisson et l’auroch, des restes de grenouilles.
Shocking, sacrebleu, le mythe est cassé ! Les Anglais en perdent leur sens de l’humour et les Français leur latin. A dire vrai, il y a belle lurette que les batraciens qui font les beaux jours de la restauration tricolore, et plus particulièrement bourguignonne, proviennent d’Indonésie ou de Chine. En Bresse, si la grenouille reste une spécialité courue sur les bords de la Seille et de la Saône, on ne s’en cache pas. Après tout, ces importations pèsent près de 4 000 tonnes par chez nous et sont aussi un recours, avec l’élevage, pour la protection de populations naturelles prélevées à outrance. Signe de reconnaissance de cette vision de belle verte aussi sacrée que peut être la vache dans d’autres pays, le centre Eden, outil pédagogique dévoué à l’environnement à Cuisery (Saône-et-Loire), en a fait son égérie sur toute sa communication.
Une tombée de choux
Cette révélation n’a donc pas fini d’alimenter les railleries et les conflits Outre-Manche, où Londres, faut-il le rappeler, a donné le nom de « Vallée des grenouilles » à son quartier français. Mais cette croustillante révélation sur la rana devrait inciter nos chefs à revisiter leur approche de l’animal, en l’orientant vers un nouveau public qui aurait tout à gagner à renouer avec ses ancestrales habitudes alimentaires ainsi révélées au grand jour.
Nous devons bien cela à la bonne vieille frog. Lorsqu’elle trempe ses cuisses dans la persillade, elle fait encore le bonheur de nos papilles. Elle a même consacré l’un de nos plus grands noms de la cuisine. C’est en effet en faisant mijoter des gousses d’ail à feu doux et en dépouillant ses jambonnettes de la graisse superflue, que l’immense Bernard Loiseau s’était attiré les bonnes grâces de l’International Herald Tribune. C’était en 1986, et ce plat allait entrer au Panthéon de la gastronomie mondiale. Et son concepteur avec.
Aujourd’hui, Patrick Bertron, successeur de Bernard Loiseau à Saulieu, pratique sa cuisine inspirée de ses attaches bretonnes tout en maintenant à la carte, les grandes références de son illustre mentor, jambonnettes en tête. Pour dijonbeaune.fr, non sans avoir évalué au préalable le séisme provoqué par la nouvelle, il a tout de suite réagi, avec un flegme so british: « Un plat de grenouilles à l’anglaise? Pourquoi pas. Avec une tombée de choux sur laquelle reposent des grenouilles cuites pochées, le tout recouvert d’une sauce au lait caillé et servi dans une assiette creuse. »
Oh my god, ils sont fous ces Bourguignons !
Dominique Bruillot