Ravi Viswanathan, le nabab du vin indien, présentera en personne les crus du sous-continent au salon Vinidivio (8-11 nov), à la marge de la Foire de Dijon (31 oct-11 nov). Celui qui est par ailleurs propriétaire du domaine Protheau à Mercurey mise sur un marché potentiellement gigantesque, tout en n’oubliant pas ses amours françaises. Rencontre avec un personnage unique en son genre.
Propos recueillis par Arnaud Morel
Pour DBM77
Qu’on ne se laisse pas endormir par le ton posé et la rondeur de Ravi Viswanathan. Ce Franco-Indien de 58 ans est un rude négociateur, doublé d’un redoutable financier. Avec ses partenaires au sein de VisVires Capital, un fonds d’investissement basé à Paris, Londres et Singapour, il a investi plusieurs dizaines de millions d’euros dans les deux principaux producteurs de vins d’Inde, Sula et Grover Zampa, qui pèsent près de 70% de la production locale. Car d’embryonnaire, le marché viticole indien est devenu significatif, tandis qu’explose la classe moyenne. « Nous sommes dans une course effrénée pour l’alimenter, nos raisins n’y suffisent pas. Nous sommes constamment à chercher de nouvelles terres », explique-t-il.
Ravi mérite plus que quiconque le titre de citoyen du monde : né en 1962 à Pondichéry, l’ancien comptoir français en Inde, il est arrivé en France âgé d’un mois, son père ayant opté pour l’Hexagone au moment de l’indépendance. Il a vécu son enfance à Dijon, Nevers, Pontarlier, mais aussi au Sénégal, en Algérie, à Djibouti, en Martinique. Aujourd’hui, il est marié avec une Russe, vit à Singapour, se rend plusieurs fois par mois en Inde, et passe toutes les vacances dans la maison qu’il possède au Val d’Usiers, près de Pontarlier. Il est le genre de personne, en somme, qui connaît aussi bien les horaires des vols directs Paris-Singapour que d’autres ceux du Transco Dijon-Couchey. À Vinidivio, il présentera une large palette de ses productions, qui devraient surprendre les amateurs. Entre les vins « typés Nouveau Monde », et ceux qui lorgnent vers la France et l’Italie, il devrait y en avoir pour tous les palais.
Vous présenterez, au salon Vinidivio, au cœur de la Foire gastronomique de Dijon, une sélection de vins indiens, dont vous êtes l’un des plus importants producteurs. Pourquoi un Bourguignon boirait-il vos vins ?
Par curiosité (rires) ! Nous proposons des vins étonnants, pour ceux qui aiment découvrir de nouveaux horizons. Ce sont les seuls vins à être produits en zone tropicale, humide et chaude, ce qui impose des méthodes culturales particulières, assez éloignées de ce qui se pratique en Europe. Mais il est exact que, pour des raisons qui se comprennent aisément, les Français consomment peu de vins étrangers, sinon dans des restaurants typiques, italiens, ou indiens. Il y a de l’éducation à faire à ce sujet, mais les choses changent vite. Le monde est de plus en plus petit.
Vous avez fait fortune dans le domaine bancaire, et investissez désormais massivement dans le vin. D’où vient cette passion ?
J’ai toujours aimé le vin. J’ai vécu une bonne partie de mon enfance en France, j’ai habité à Dijon pendant que mon père, prof de lettres, poursuivait ses études à la fac, je connais bien Beaune, Nevers et j’ai toujours une maison à côté de Pontarlier dans le Jura, où ma famille passe toutes ses vacances. Aujourd’hui encore, j’ai une tendance certaine à toujours avoir des bourgognes et des vins du Jura sur ma table. Je possède une cave personnelle de plusieurs milliers de bouteilles, que j’ai commencée durant mes études. J’étais dans une école d’ingénieur qui rémunérait ses étudiants, j’avais peu de besoins financiers, et je me suis retrouvé, en fin d’année, avec un petit capital. Le hasard a voulu que l’année en question, 1982, soit une excellente année en matière de vin. J’y ai passé tout mon pécule, et ça a commencé comme ça. Aujourd’hui, j’ai les moyens de ma passion. J’ai ainsi pu acquérir deux bouteilles très rares, repêchées dans une épave de la Baltique : un Veuve Cliquot 1841 et un Juglar 1829, le champagne préféré de Napoléon Ier.
Pas mal. Vous êtes au capital des deux plus importants producteurs de vins indiens. Quelles sont les particularités de ce marché viticole ?
Le vin n’est pas un alcool très populaire en Inde, en l’absence de toute tradition et culture sur le sujet. Le pays est dominé par la consommation de whisky (ndlr, la moitié de la production mondiale !), de brandy et de bières. Mais le marché du vin a commencé à se développer doucement il y a une vingtaine d’années. Il croît de 15 à 25% annuellement depuis. Aujourd’hui, mon groupe produit 5 millions de bouteilles par an, essentiellement pour le marché indien. Dans trois ans, nous devrions être à 12 millions de bouteilles, dans 10 ans entre 50 et 100 millions.
Une croissance sidérante !
Il n’y a pas de tabou sur la consommation d’alcool en Inde, même si certaines minorités l’interdisent, les musulmans et certaines sectes hindoues. Et le boum économique que le pays connaît depuis des années fait émerger une classe moyenne et consolide une classe aisée pour qui le vin est un produit recherché. Nous avons trois clientèles identifiées : les riches Indiens, qui voyagent, et veulent retrouver, au pays, les plaisirs découverts à l’étranger. Eux boivent plutôt des vins d’exportation, qui sont très chers. Les jeunes diplômés et les femmes se tournent plus vers la consommation de vins indiens. Les premiers sont attirés par le « style de vie » que représente le vin, tandis que les femmes y trouvent un moyen socialement accepté de consommer de l’alcool. Il est très mal vu, en Inde, qu’une femme boive des alcools forts comme le whisky. C’est toujours un peu vrai en France également.
Avec tous ces nouveaux acheteurs, il n’y aura bientôt plus assez de bourgogne pour le marché français…
On peut effectivement se retrouver en Bourgogne, où j’ai acheté le domaine Protheau à Mercurey, d’ici une génération, à une situation où tous les vins seront exportés, vers les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Asie. On commence à le voir, et c’est quelque part inévitable. La demande ne cesse de progresser, les prix suivent la demande et explosent. Pour vous donner un ordre de grandeur, il y a plus de millionnaires à Mumbai que dans toute la France et l’on considère qu’il y a entre 10 et 20 millions de foyers en Inde dont le capital dépasse le million de dollars. Si tous les riches Indiens consommaient autant de vins que les Français, la production mondiale ne suffirait pas à cette demande !
Et nous, pouvons-nous boire vos vins indiens ?
Nous exportons nos productions dans une trentaine de pays, dont la France. Nous sommes présents sur certaines grandes tables dans l’Hexagone. Proche de chez vous, le restaurant Le Charlemagne à Pernand-Vergelesses en propose quatre à sa carte. Cependant, il est vrai que la plus grosse partie de notre production se destine au marché indien, que nous ne parvenons pas à alimenter. Nous produisons dans deux zones principales, le Maharashtra, à 300 km au nord de Mumbai, et plus au sud dans la région de Bangalore, la Silicon Valley indienne. Ces régions ont été identifiées à la fin des années 1980 par des œnologues français, qui ont essayé de planter des ceps de vignes un peu partout, pour finalement mettre en évidence ces deux régions. Leurs collines situées entre 600 et 1000 mètres d’altitude se prêtent à la culture du raisin. La difficulté est de gérer la chaleur et l’humidité. Nous avons deux cycles végétatifs par an, et nous ne produisons que durant le cycle végétatif d’hiver, avec des vendanges en février et mars. Notre objectif n’est pas de faire les meilleurs vins du monde, mais d’excellents vins à des tarifs abordables, pour le marché indien.
Vinidivio, du 8 au 11 novembre au parc des Expositions de Dijon. Infos et billetterie sur www.foirededijon.com.