Homme de terrain et de dialogue, le préfet de la Bourgogne-Franche-Comté et de la Côte-d’Or est un acteur de ce rapprochement des espaces. Interview.
Sur quels critères distinguez la ruralité de l’espace urbain ?
Franck Robine : En Côte-d’Or, la ruralité est une réalité que chacun peut facilement mesurer en se promenant : paysages, terroirs, modes de vie, activités, valeurs d’entraide et histoire commune au sein de petites communautés… Mais pour mettre en œuvre certains dispositifs financiers, il nous faut des critères plus objectifs. Jusqu’en 2020, l’Insee caractérisait le rural comme l’ensemble des communes n’appartenant pas à une unité urbaine (regroupement de plus de 2 000 habitants dans un espace avec une continuité du bâti). La nouvelle définition proposée rompt avec cette approche centrée sur la ville : les territoires ruraux désignent désormais l’ensemble des communes peu denses ou très peu denses. Ils réunissent un tiers de la population en France et la moitié en Bourgogne-Franche-Comté. Pour autant, nous prenons aussi en compte d’autres critères : l’importance d’une zone d’emploi, la typologie des activités économiques, l’accessibilité aux infrastructures et services, le mode de vie et culture, l’aménagement du territoire, la mobilité… Sans oublier un élément majeur, le sentiment d’appartenance des populations.
Comment travaillez-vous à un meilleur dialogue entre les deux ?
Au-delà de ce qui les différencie, l’urbain et le rural sont plus liés que jamais ! Même si chacun garde ces spécificités, les modes de vie se sont considérablement uniformisés, avec des interactions permanentes. Depuis le Covid, on observe un retour à la ruralité avec des urbains partis vivre « à la campagne » pour une meilleure qualité de vie. Entre l’urbain et le rural, il peut y avoir des divergences sur certains enjeux mais l’interaction existe grâce à divers espaces de dialogue animés par l’État, les communes et intercommunalités, les associations d’élus, les syndicats mixtes… Tous ensemble, nous devons favoriser les échanges entre générations, sensibiliser les jeunes urbains et ruraux à des valeurs communes, privilégier les circuits courts, ou encore améliorer les infrastructures de transport pour faciliter les déplacements.
Quelle est votre méthode pour gérer les contradictions parfois criantes entre la protection de nos paysages et l’impérative nécessité de procéder à la transition énergétique ?
Face à deux exigences importantes, la protection des paysages et celle de la biodiversité, je favorise avant tout l’écoute et le dialogue. Il faut comprendre que le développement des énergies renouvelables, principalement le grand éolien terrestre et le photovoltaïque en ce qui concerne la Côte-d’Or, n’est pas une option. Tout est affaire d’équilibre et de pédagogie : nous devons sans cesse expliquer et resituer les enjeux dans le contexte de changement climatique. La préfecture s’est dotée très tôt d’un pôle de compétence pour le développement des énergies renouvelables (PCDER) conçu comme un guichet unique d’accès aux services de l’État pour tous les acteurs (élus, porteurs de projets, associations…).
Comment s’organise ce pôle ?
Lors de l’émergence des projets, le porteur vient en expliquer les modalités et répondre aux interrogations. Ces informations sont relayées auprès des acteurs locaux pour favoriser l’indispensable concertation. Je rappelle que si l’État, à travers de multiples mécanismes, accompagne et encourage ce développement, il ne détient pas pour autant le choix du mode de production d’énergie renouvelable qui, lui, relève de l’initiative privée ou des collectivités. La loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables vient de donner aux collectivités un rôle essentiel à jouer dans ce domaine en leur permettant notamment de définir des « zones d’accélération » du développement des énergies renouvelables, après concertation avec la population. C’est pourquoi je les ai réunies au printemps avec les sous-préfets d’arrondissement afin de souligner le rôle important qu’elles ont à jouer, de discuter des modalités de mise en œuvre, des bonnes pratiques et des difficultés rencontrées.
Selon vous, cela matche bien entre le Fonds vert et le SICECO. Avez-vous encore des crédits ?
L’enveloppe régionale du Fonds vert en 2024, plus de 63 millions d’euros, était engagée à hauteur de 85% à fin juillet. Je confirme que cela matche car l’an dernier, ce fonds a permis le financement de neuf dossiers déposés par le SICECO, en tant que maître d’ouvrage des travaux d’éclairage public, pour un montant total de subventions attribuées à hauteur de plus de 700 000 euros. Le positionnement technique du SICECO facilite la présentation de dossiers au programme Fonds vert.
La Bourgogne-Franche-Comté est-elle bonne élève dans le cadre des plans Villages d’avenir et Petites Villes de Demain ?
Il ne saurait en être autrement : nous vivons dans une région dont la ruralité est une composante majeure et un atout essentiel. 109 communes de Bourgogne-Franche-Comté sont labellisées Petites villes de demain, dont 14 en Côte-d’Or. Notre région compte 237 lauréats du programme Villages d’avenir, dont 18 en Côte-d’Or. Cela démontre l’engagement de l’État en faveur de la ruralité et l’intérêt des élus pour ces programmes dont ils se saisissent, conscients de leur intérêt pour la population.
Progresse-t-elle face à l’affaiblissement des services publics ?
L’État est conscient des limites du « tout-numérique ». En lien avec de nombreux opérateurs et les collectivités, il réorganise depuis plusieurs années le maillage des services publics dans le sens d’une rationalisation et d’une mutualisation renforcées. C’est le sens des 223 espaces France Services que compte la région, et pas uniquement en milieu rural. Leur utilité est largement plébiscitée par les usagers.
Et la désertification médicale ?
La présence des professions de santé en zone rurale est une préoccupation majeure de sa population. J’en suis conscient et il nous faut continuer à travailler, avec le directeur général de l’ARS (ndlr, Jean-Jacques Coiplet), les élus et surtout les professionnels de santé. La BFC dispose de 160 maisons de santé pluri-professionnelles, dont 22 en Côte-d’Or. Il s’agit de structures portées par l’ensemble des acteurs, État, collectivités et professionnels. Mais ce sont ces derniers qui en sont les éléments-clés. L’État a multiplié les incitations, financières et fiscales notamment, et les collectivités facilitent les installations. Nous nous heurtons néanmoins à la faible appétence des professionnels de santé à s’installer dans les secteurs ruraux. D’autres possibilités d’améliorer la couverture médicale existent, je pense à la télé-expertise pour pallier, en partie, l’absence de spécialistes, ou aux Médicobus qui se développent à l’échelle nationale. Nous travaillons à constituer un groupement de professionnels par département, susceptible de porter le projet.
Le ZAN (zéro artificialisation nette) fait débat. Beaucoup de communes ne sont pas équipées pour gérer leur vision urbanistique. Que peut faire l’État dans ce domaine ?
Le ZAN est un double principe de sobriété et de compensation. Il ne s’agit pas de ne plus rien faire, mais bien de compenser ailleurs si l’on consomme de l’espace naturel, agricole ou forestier pour la construction. Regardons les chiffres : entre 2011 et 2021, la Côte-d’Or a consommé 1938 ha de ces espaces, soit un peu moins de 200 ha par an pour un département qui en fait 876 000. Le débat sur le ZAN est donc inutile pour une large partie, car la consommation foncière est en réalité faible en Bourgogne-Franche-Comté, du fait de la baisse continue depuis 2015 de la population de la région.
Quid des petites communes ?
Celles qui sont dans une démarche de planification de l’urbanisme ont obtenu la garantie d’1 ha. La région peut consommer 5500 ha d’ici 2030, en application de la loi, et l’on dénombre justement précisément 5500 ha de friches disponibles. Notre région ne risque donc pas de compromettre son développement du fait de l’application de la loi ZAN. Je m’en réjouis car j’ai pu constater, lors des travaux de la COP, que les élus étaient très motivés pour œuvrer contre le réchauffement climatique. Les dossiers de renaturation, par exemple celle des cours d’école, font l’objet de nombreux projets de la part des maires pour ce qui concerne les demandes de financement sur le Fonds vert. Tout cela ne devrait donc pas présenter de difficultés insurmontables en BFC