Le Bistrot de la Scène a acté sa petite mort à la fin de l’année 2020. Ouverte depuis plus de trente ans, la salle de spectacles dijonnaise ne devrait pas résister à la crise sanitaire. Interview de son propriétaire-gérant François Mérilleau.
Existe-t-il un espace entre l’industrie culturelle et la culture subventionnée ? Un espace intermédiaire entre les impératifs de rentabilité qui structurent l’une, et le nombre forcément réduit des heureux élus de l’autre ? Longtemps, le Bistrot de la Scène dijonnais a occupé cet entre-deux. Mais, sous le coup de l’effet Covid sur la fréquentation et sur les subventions, la situation de ce creuset à jeunes talents semble aujourd’hui compromise au point que son responsable, François Mérilleau, annonce l’arrêt pur et simple de la diffusion de spectacles vivants à la fin de l’année 2020. Peut-on encore sauver le soldat Bistrot de la Scène, qui emploie trois salariés et cinq intermittents pour un budget annuel de 240 000 euros ? Nous avons posé la question à celui qui, depuis 1987, faire vivre le café-théâtre de la rue d’Auxonne.
Comment avez-vous pris cette décision fatale d’arrêter vos activités à la fin décembre 2020 ?
C’est d’abord une décision collective, prise en Conseil d’administration. Nous avons fait les comptes. L’an passé, nous avons enregistré un déficit de 15 000 euros, alors que c’était une très belle année niveau fréquentation. Cette année, avec le contexte sanitaire que l’on connaît, nous prévoyons un résultat négatif à hauteur de 25 000 à 30 000 euros. Ce n’est plus tenable. Nous arrêtons à temps pour pouvoir payer tout le monde, sur notre trésorerie propre.
Ce lourd déficit est-il attribuable à la baisse de fréquentation ?
D’ordinaire, le Bistrot de la Scène accueille environ 500 artistes, dont une vingtaine qui se produit pour la première fois, et une centaine de spectacles à l’année. Nous attirons en moyenne 20 000 spectateurs, ce qui veut dire que nous faisons presque toujours le plein, avec une jauge qui varie, mais se situe autour des 120 à 130 places. Avec la crise du Covid, cette année est très différente. En septembre, nous avons dû annuler quatre spectacles sur les huit que nous proposions, faute de spectateurs. Et pour les représentations que nous maintenons, notre jauge est divisée par deux, à 60 places…
Qu’en est-il du financement public ? Le Bistrot de la Scène reçoit-il des subventions pour fonctionner ?
Oui, mais leur part chute de manière constante. Il y a quelques années, nous recevions des aides à hauteur de 20 à 25% de notre budget. Celles-ci sont en chute libre depuis cinq ans. Aujourd’hui, nous en sommes à environ 10% d’aides. Bien sûr, nous savons que les finances publiques souffrent, mais nous sommes tout de même déçus du manque de soutien de certaines collectivités.
Lesquelles ?
La Métropole dijonnaise continue de nous aider, mais avec une dotation qui a été divisée par deux en cinq ans*. Son budget culturel fait surtout la part belle à l’Auditorium, ce gigantesque établissement qui mobilise l’essentiel des finances. Les autres n’ont que des miettes. Le Conseil départemental continue de nous aider, tandis que les aides de la région sont tombées à zéro. C’est ce que je trouve le plus dur à accepter. Nous offrons une programmation qui est à 90 % régionale, notre rôle est de faire découvrir des talents locaux.
* Contactée sur ce point, la Métropole précise avoir répondu aux deux demandes de subvention émanant du Bistrot de la Scène : la première en 2014 (40 000 euros), la seconde en 2019 (19 000 euros sur 20 000 demandés).
Pourquoi ne pas faire appel aux Dijonnais, par exemple en proposant un financement participatif ?
Nous y avons songé, mais nous sommes conscients que si nous demandons de l’aide pour éponger notre déficit, il nous faudra renouveler l’opération d’ici quelques mois, et nous nous y refusons. Tant qu’il n’y a pas un engagement écrit des pouvoirs publics, le reste ne sera que rustine. Des anciens du bistrot ont un projet de reprise, mais ils ne parviennent pas à obtenir des prêts bancaires.
« Une autre de mes fiertés, c’est d’avoir reçu trois générations de public, en voyant arriver les petits-enfants de nos premiers spectateurs. »
Que deviendra le Bistrot de la Scène après cet arrêt programmé ?
Pour l’heure, je n’en sais rien. Une collectivité pourrait s’en porter acquéreur, pour en faire par exemple une salle de répétition. Je suis le propriétaire des lieux, que j’ai rachetés au décès du propriétaire précédent. Il me reste encore trois années de traites à payer, d’ailleurs. L’association me loue les locaux.
Que retenez-vous de ces 33 années de programmation ?
Nous avons ouvert en 1987, après un an de travaux. Le Bistrot de la Scène est né du désir d’accueillir des spectacles qui n’avaient pas d’espace de diffusion. Cette mission, nous l’avons poursuivie tout au long de ces années, et c’est une grande fierté. J’aurais cependant aimé pouvoir accueillir plus de jeunes talents, mais c’était économiquement très difficile de faire plus. Une autre de mes fiertés, c’est d’avoir reçu trois générations de public, en voyant arriver les petits-enfants de nos premiers spectateurs. Nous avons aussi contribué à faire émerger des talents locaux comme Daniel Fernandez, Bernard Joyet ou encore Jamait.