La 13e édition de Musique & Vin au Clos Vougeot (22-27 juin 2021) a les notes du renouveau. Le violoncelliste Gautier Capuçon et le pianiste Jean-Yves Thibaudet, tous deux très liés au destin du festival, viennent d’en prendre la direction artistique. Rien de plus naturel, estime le premier dans une interview accordée à DijonBeaune.fr.
Qu’a envie de jouer un violoncelliste à cette époque si particulière ?
Plein de choses ! Tout, en fait (sourires) On se satisfait d’abord du bonheur de rejouer après avoir été coupé du public et de ses émotions pendant si longtemps. Si la musique existe, c’est bien pour être partagée. Je ne la conçois pas autrement qu’un voyage commun avec le public. Les émotions ont été très fortes en ce moment, difficiles pour certaines, inconnues pour d’autres.
Le ciel est bleu, les terrasses chantent. La programmation de M&V 2021 fera-t-elle écho à cet éveil des sens et aux joies retrouvées ?
Ces retrouvailles, avec la distanciation que l’on connait, donneront un sentiment de grande légèreté. En fait, nous avons surtout reconduit le maximum de concerts annulés l’an passé. C’était important d’assurer une continuité et de soutenir les artistes déjà engagés.
Vous voici à la direction artistique du festival, au côté de Jean-Yves Thibaudet, pour assumer la suite de David Chan*. Quel est le sens de cet engagement ?
Tout cela est venu très naturellement, en fait. Avec Bernard Hervet, Aubert de Villaine (ndlr, les créateurs du festival) et le château, nous sommes liés depuis la première édition en 2008. Jean-Yves est un musicien que j’admire depuis toujours devenu un ami très proche. Nous nous sommes rencontrés sur scène, pour jouer la sonate de Rachmaninov au festival de Spoleto (Italie), il y a exactement 20 ans. Assumer la direction artistique d’un tel festival, vingt ans après, je trouve que la symbolique est belle.
* Depuis la première édition, David Chan, premier violon du Metropolitan Opera de New York et co-créateur de Musique & Vin, assurait la direction artistique du festival. Sa carrière s’oriente vers la direction d’orchestre, à laquelle il a décidé de consacrer plus de temps.
Le festival illustre la jolie complicité de votre duo. Comment expliquez-vous cette relation ?
Comme toutes les grandes amitiés, elle est difficile à expliquer. On la ressent avant tout. Il y a évidemment la dimension humaine, comme partout, mais aussi un profond lien musical, propre à ce que nous pouvons vivre sur scène ensemble. À Spoleto, nous l’avons ressenti très fort, aux premières notes de répétition. Dans ce genre de rencontre, on a l’impression de se connaître depuis toujours, nos deux âmes dialoguent avec facilité. Je suis très heureux d’écrire les prochaines pages de Musique & Vin avec Jean-Yves.
Bernard Hervet dit du festival qu’il cultive naturellement un esprit de famille, en ayant fidélisé des artistes de tous horizons. Le ressentez-vous de la même manière ?
C’est tout à fait vrai ! Il existe ici un amour du partage, dans la musique comme dans le vin. C’est pour cette raison que je reviens chaque année, car il se passe toujours quelque chose de particulier ici. Ce festival, il faut le redire, est unique au monde. Il conjugue les excellences de deux domaines aux richesses insondables. Cela tient beaucoup à la vision de Bernard Hervet et Aubert de Villaine, y compris à travers leur soutien aux jeunes artistes : les bourses et prêts d’instruments grâce aux mécènes sont une bénédiction, sans parler de l’accompagnement sur scène notamment au bastion des Hospices de Beaune, qui est aussi très cher à mes yeux.
Une anecdote en particulier illustre cet esprit…
Oui, c’était il y a quelques années, au château du Clos de Vougeot, avec Jean-Yves encore. Le moment des « bis », quand le concert touche à sa fin, est toujours un peu plus léger. L’adrénaline se transforme en un certain relâchement, dans le bon sens du terme. La concentration est différente. À ce moment, on se regarde avec Jean-Yves pour entamer ce fameux bis. Sans que je puisse vraiment l’expliquer, ce regard complice nous entraîne tous les deux dans un fou rire. On ne pouvait plus s’arrêter. Cela m’a paru interminable alors que le moment a dû être beaucoup plus bref en réalité. Mais on n’a jamais pu démarrer ce bis ! Je garde le souvenir de plusieurs salves de rires, très communicatives.
Dimanche 27 juin, pour le gala final dans la cour du château, Charles Dutoit dirigera l’orchestre éphémère des Climats de Bourgogne. On vous sent ému par le personnage.
Très ému. Ce fut une autre rencontre majeure. Charles accompagne ma vie de musicien depuis le début. Il m’a pris sous son aile, m’a fait confiance dans mes jeunes années en me permettant de voyager aux États-Unis, en Asie, en Europe… À 20 ans, il m’a fait jouer avec les plus grands orchestres. Je me souviendrai toujours du festival de Saratoga, avec l’orchestre de Philadelphie. J’habitais dans sa maison qu’il occupait pour l’été… Ce sont des moments artistiques très formateurs et des instants de vie extraordinaires. Charles Dutoit est un immense musicien et chef d’orchestre, doublé d’un homme cultivé, passionné, avec qui je resterais discuter des heures. Clôturer cette édition de Musique & Vin à ses côtés, avec le concerto de Haydn, me rend très heureux. Et lui aussi est un grand amoureux de la Bourgogne et de ses vins. Je sais qu’il se réjouit de venir !
Justement, à ce sujet, il se dit mezza voce que Jean-Yves vous a un peu aidé sur ce point. Est-ce exact ? Autant de voyages initiatiques entre nos ceps, cela doit forger le palais…
C’est vrai ! Jean-Yves m’a fait découvrir ces vins, que je connaissais très peu. Il été une sorte de parrain bienveillant avec Charles Dutoit. Après nos concerts, aux États-Unis comme en Asie, on dégustait régulièrement des bourgognes. J’ai encore des souvenirs précis d’études de cartes viticoles. Ils m’en parlaient avec beaucoup de sensibilité. Bernard Hervet a naturellement pris le relai dans cette éducation des sens. Il paraît que je suis un bon élève, mais on a toujours à apprendre sur le sujet.
Juste pour le plaisir, quel serait votre orchestre idéal de vignerons et/ou vins d’ici ?
Le plaisir du vin est comme celui de la musique, dans le sens où je suis incapable de citer tel ou tel compositeur à la volée. Bien sûr, j’ai mes préférences, mais cela dépend de tellement de choses, du contexte, de ce que l’on vit dans la journée, des personnes avec lesquelles on partage ces émotions… C’est tout le caractère infini de ces deux éléments. On a beau jouer des centaines de fois le concerto de Dvořák, tout comme un vin, il sera à chaque fois différent. C’est cette part d’extraordinaire que propose Musique & Vin.