Les grands crus de Bourgogne ont leur ouvrage de référence et une cartographie à la hauteur de leur légende. En publiant un atlas sur le sujet, le journaliste et auteur bourguignon Laurent Gotti replace l’homme au centre de ces parcelles prestigieuses.
Romanée-Conti, Montrachet, Chambertin, Clos-Vougeot… Tout en haut de la pyramide, leurs noms chantants représentent 1 à 2 % du vignoble bourguignon. La planète vin en rêve la nuit et paie cher pour en porter à ses lèvres. En l’espace de deux millénaires, les grands crus ont conduit à la consécration de la Bourgogne comme un modèle de viticulture à l’échelle du monde. Laurent Gotti connait la musique. L’ouvrage qu’il vient de commettre n’est pourtant pas un hommage béat de plus sur le sujet, qui ferait l’inventaire des légendes divine et résumerait la chose au socle cistercien.
Le journaliste et auteur installé à Beaune propose au contraire d’aborder les grands crus de Bourgogne comme une longue construction humaine, dans toute sa complexité et ses contradictions, citant volontiers la formule de Roger Dion estimant que les grands terroirs ne sont pas des faits géologiques mais sociaux.
Sans faire l’impasse sur les notions historiques et géologiques, cette approche repose principalement sur une cartographie inédite de chacun des 33 grands crus (Chablis compris) et de nombreux témoignages de vignerons. Elle se veut accessible, à défaut d’être véritablement grand public. « Si je parle des grands crus, ce n’est pas par snobisme, mais parce qu’ils représentent la quintessence de la notion de climat de Bourgogne », pose l’auteur, qui s’est efforcé de laisser au fond de la cuve le jargon habituel, limitant les références aux marnes à ostrea acuminata, au pourcentage de fût neuf ou de vendanges entières. Là n’était pas le propos. « Toucher à l’intangibilité des terroirs », telle est l’ambition de cet atlas, dont l’idée a germé en 2020 au détour d’une carte de la colline de Corton répertoriant ses 95 exploitants.
Savoir-faire et antériorité des pratiques
Laurent Gotti a alors patiemment rassemblé les pièces du puzzle, comme il en a l’habitude en tant que gérant de la collection Pierre Poupon, laquelle s’inscrit depuis plusieurs décennies dans une « verticale des gendres » incluant avant lui Sylvain Pitiot, l’ex-régisseur du Clos de Tart et topographe des climats.
Chaque grand cru est alors morcelé selon ses propriétaires, grâce à une méticuleuse étude basée sur le cadastre et une enquête de terrain. Son auteur cultive « une approche journalistique de la cartographie, qui devient alors une formidable clé de lecture sensorielle, comme un article qui mettrait les sens en éveil. » Pour rythmer le propos, une soixantaine de témoignages de vignerons et vinificateurs, récoltés en l’espace de deux ans. Tous sont là, les Aubert de Villaine, Thibault Liger-Belair, Véronique Drouhin, Ludivine Griveau… Chacun livre ses sensations et ses méthodes de travail, sans cacher la part d’inexplicable qui le relie à ces parcelles.
« Dans le contexte que nous connaissons en Bourgogne, j’ai été rassuré par le fait que les vignerons avaient une véritable intimité avec leur terroir », explique Laurent Gotti, qui s’est aussi appuyé sur l’expertise de la géologue François Vannier pour interroger le lien fondamental entre le sol et les caractéristiques d’un vin. Pas si évident. Au pays des belles histoires, les archétypes deviennent vite des poncifs. « On ne peut résumer un vin à sa base géologique. Il existe un tas d’autres facteurs d’excellence. Le savoir-faire et l’antériorité des pratiques sont souvent les grands oubliés de cette histoire. »
Entre mythe et réalité, cette « somme » de presque 300 pages remet donc un peu l’église au milieu du village. Et l’homme, à travers ce qu’il sait et tout ce qu’il lui reste à découvrir, au centre de la vigne.
Les Grands Crus de Bourgogne, atlas parcellaire et caractérisation des climats (Coll. Pierre Poupon). 288 pages. 59€.
