Notre chroniqueur gourmet Gauthier Pajona n’y va pas par quatre chemins du Michelin. Il estime un peu mou le palmarès 2024 et milite pour la promotion des deux chefs de Saône-et-Loire. Sans oublier Chez Camille à Arnay-le-Duc…
Par Gauthier Pajona
Le Guide Michelin 2024, 115e du nom, vient de sortir. Biberonné à cette bible pneumatique jadis soigneusement rangée dans la boîte à gants de la Peugeot 404 familiale, je le considère comme un pan de la gastronomie française. Pour autant, je ne peux m’empêcher de soulever quelques incohérences dans ce millésime 2024.
Bibendum a semble-t-il déserté les vicinales bourguignonnes. Aucun nouvel astre à se mettre sous la dent cette année. Pire, la Côte-d’Or déplore deux rétrogradations. Sans doute victime de son manque de sex appeal touristique, la Nièvre est quant à elle boudée depuis bientôt dix ans et la destitution du dernier des Mohicans Jean-Michel Couron à Nevers. Débat sans fin et sans faim.
On ne peut ignorer toutefois le sentiment d’incompréhension qui flotte dans les cuisines. Depuis leur reprise en 2020, Joy-Astrid Poinsot et Alexis Blanchard font des merveilles Chez Camille, à Arnay-le-Duc. Entouré d’une belle équipe, le couple a renoué avec cette tradition des auberges de bord de route aimantes et généreuses. Une référence installée sur la non moins mythique Nationale 6, dont la première mention dans le guide rouge remonte à 1934. Pourtant, Chez Camille n’a même pas droit à une petite citation du bibendum. Rien, nada, walou. Le duo de chefs n’en fait pas une obsession potentiellement destructrice pour autant. Cela ne l’empêche pas de (bien) tenir la boutique.
La France, ce n’est pas que Paris ou « Courch’ »
Le Michelin a l’art de brouiller ses propres cartes. Il en va de même pour les deux étoiles et ce palmarès 2024 assez scandaleux (huit promotions), avec de vieux chevaux de retour, des cuisiniers de palace moult fois décorés, tels des maréchaux soviétiques. Nos chemins gourmands deviennent alors balisés, polarisés même, entre Paris, la Savoie et la Côte d’Azur sur-primée.
Cela n’enlève rien au mérite de grands professionnels comme Christophe Cussac, désormais établi à Monaco, déjà doublement étoilé dans les années 90 à Tonnerre (Yonne). Mais le Michelin ne me semble plus vraiment gonflé à bloc, à moins qu’il ne soit tout simplement le révélateur de ce qu’il se passe dans nos contrées. Où est la jeunesse ? Où sont les chefs-patrons ? Où sont ces couples qui mettent leur cœur et leurs sous dans l’affaire d’une vie ? Où est la nouveauté, la prise de risque, la ruralité ? La France, ce n’est pas que Paris ou « Courch’ ».
Il me semble qu’en Bourgogne, seules deux tables peuvent accéder à l’étage supérieur : Greuze à Tournus, et la Maison Frédéric Doucet à Charolles, où vendredi dernier le menu « Immersion bourguignonne » (180 euros) était tout bonnement éblouissant. Deux maisons tenues par des chefs-patrons exemplaires, dans la force de l’âge, Yohann Chapuis et Frédéric Doucet. Ont-ils seulement songé à déménager au bord d’une piste de ski, comme ça, juste pour voir ?