Fondés au XIIIe siècle mais gardiens d’une vente aux enchères qui remonte seulement à 1962, les Hospices de Nuits cultivent une tradition bien à part. Décryptage d’un domaine peu ordinaire.
Un hôpital de haut niveau
Fondés vers 1270, les Hospices de Nuits-Saint-Georges ont deux siècles d’avance sur leur illustre voisin beaunois (1443). La petite maladrerie au bord du Meuzin est devenue, ailleurs dans la ville, un hôpital à part entière à la fin du XVIIe siècle, sous la responsabilité de l’illustre aumônier Antide Midan, avec comme garde rapprochée des notables locaux. C’est le site historique tel que l’ont connu nombre de générations, avant un changement administratif de taille en 2016 et l’intégration au sein des Hospices civils de Beaune*, puis l’inauguration d’un nouvel hôpital Saint-Laurent en septembre 2018.
L’histoire ne dit toujours pas ce que l’on fera des locaux abandonnés, dont une partie est classée aux Monuments historiques. Mais avoir un hôpital de proximité de ce niveau, avec 120 professionnels de toute nature, dans une ville d’à peine 6 000 habitants, est assez unique en son genre. Unités d’hébergements (60 lits), services de médecine (8 lits), soins de suite et de réadaptation (10 lits) et principalement Ehpad (plus de 120 places) accueillent 90 % de Nuitons ou d’habitants des communes alentours. Le nouvel hôpital, dont les deux bâtiments ont été baptisés Les Didiers et Les Vignerondes, a changé la vie de ses pensionnaires. L’investissement a approché globalement les 16 millions d’euros. Sans le concours de la vente, ce nouvel équipement n’aurait sans doute jamais vu le jour.
* Plus largement, l’hôpital nuiton est intégré au groupement hospitalier de territoire (GHT) du Sud Côte-d’Or, qui concerne les centres de Beaune, Seurre et Arnay-le-Duc, sous une gouvernance commune.
Un domaine de 12,5 hectares
Il fait partie intégrante de l’hôpital. Le domaine viticole des Hospices de Nuits a un budget de fonctionnement qui lui est propre, comme une entreprise dans l’entreprise. Quatre vignerons y travaillent à plein temps sous la conduite de Jean-Marc Moron (en photo), inamovible régisseur depuis 1990, avec le soutien régulier d’une entreprise viticole adaptée. L’essentiel de son patrimoine viticole a été constitué lors de différents dons au XVIIe siècle. La grande majorité de ses 12,5 hectares de vignes concerne l’appellation Nuits-Saint-Georges. Une parcelle de Gevrey-Chambertin Les Champs Chenys ayant complété en 2002 un parcellaire qui rend hommage au pinot noir (à peine 20 ares concernent le chardonnay), comme en témoigne le monopole du domaine Les Didiers (1,46 ha).
Une vente aux enchères
Dimanche 12 mars 2023, au château du Clos de Vougeot, les Hospices de Nuits proposeront le fruit de leur récolte 2022 aux enchères, soit 157 pièces de rouge et 3 pièces de blanc (une pièce = 228 litres, soit environ 290 bouteilles). Telle est la tradition depuis la vente du 13 mai 1962, sur les recommandations de la Cour des comptes pour booster l’activité viticole de l’hôpital. Cette année-là, 69 pièces étaient vendues sous le marché couvert de la ville (la vente fut délocalisée au château du Clos de Vougeot en 1991). L’événement surfe sur une dynamique spectaculaire, qui suit finalement d’assez près la courbe exponentielle des bourgognes. L’an passé, on a atteint le record de 2 486 000 euros. En à peine cinq ans, le prix moyen de la pièce a doublé pour dépasser les 20 000 euros. Les négociants côte-d’oriens, très attachés à l’événement, en seront les principaux animateurs.
Cette année ne devrait pas y couper. « Il se passe quelque chose de grand avec ce millésime 2022, il faudra encore se bagarrer un peu pour en avoir », résume François Poher, qui compte sur la maestria du duo Hugues Cortot et Aymeric de Clouet le jour J. Présent depuis quatre ans, le commissaire-priseur et l’expert en vins ont fait entrer l’événement dans l’ère du numérique, entérinant la fin de la vente à la bougie. « On veut voir le grand cellier plein à craquer ! Si vous venez en train, prenez un billet retour le plus tard possible, car il y aura 51 pièces de plus que l’an dernier… », prévient le duo.
Des associations amies
En hommage à l’esprit de charité qui entoure cet événement, les Hospices de Nuits choisissent chaque année une noble cause, qui recevra le produit de la vente d’une cuvée spéciale. Un ou une « people », généralement proche de l’association choisie, préside l’événement. Cette « cuvée des bienfaiteurs » est constituée d’un assemblage des neuf premiers crus du domaine, soit « la photographie fidèle de l’appellation et du millésime », dixit Jean-Marc Moron. Le commun des mortels peut avoir droit à sa bouteille (150 euros l’unité, avec déduction fiscale de 66 % pour le particulier et 60 % pour les entreprises) via un système de souscription.
Cette année, les Blouses Roses et leur comité dijonnais ont été choisis, pour continuer d’égayer le quotidien de jeunes et des séniors hospitalisés. « On ne laisse tomber personne après la vente, nos relations avec les associations sont constantes, certifie François Poher. Nous avions par exemple été frappés par la problématique de l’autisme, avec la venue d’Eglantine Emeyé. Cinq ans après cette rencontre, nous ouvrions notre unité d’enseignement maternel pour enfants autistes (Uema) à Nuits-Saint-Georges. »
Une nouvelle cuvée en hommage à Hugues Perdrizet
D’après les grimoires nuitons, il aurait été le premier, en 1688, à donner quelques arpents de vignes au domaine des Hospices de Nuits-Saint-Georges. Hugues Perdrizet a ouvert la voie à une extraordinaire œuvre de charité nuitonne. Étonnamment, aucune cuvée ne portait son patronyme. L’anomalie est désormais réparée. La cuvée Hugues Perdrizet ne provient pas de n’importe quel climat. Elle fera partie des stars. « Elle est obtenue par la vinification de 400 pieds sélectionnés dans notre vieille parcelle de 1er cru Les Saint-Georges. Ces pieds sont vendangés à part, et les raisins sont vinifiés dans une petite cuve », détaille Jean-Marc Moron, par ailleurs ravi de ce millésime 2022 aux mensurations surprenantes : « Nous démarrons toujours nos vendanges par Les Didiers, une vieille vigne au faible rendement, autour de 20 hl/ha. Là, nous étions plutôt à 35 hl/ha. Il a fallu plus de fûts ! Malgré quelques excès climatiques, la vigne a exprimé tout son potentiel : une floraison précoce, des pluies bienfaitrices en juin, un temps estival qui s’est installé rapidement… les conditions idéales pour préparer une grande année. » Le sir Perdrizet peut donc dormir l’esprit tranquille.