Millésime rare dans tous les sens du terme, nouvel opérateur au marteau déterminé à en partager les secrets : la 64e Vente des vins des Hospices de Nuits, dimanche 9 mars, acte un jour nouveau. La cité nuitonne tire seulement les premières gouttes d’un excitant chapitre de sa riche histoire viticole…

Vente ou pas vente ? Chez les organisateurs, la question s’est vraiment posée dans la foulée d’un famélique millésime 2024 accordé par dame nature, qui a laissé le domaine des Hospices de Nuits dans une situation assez inédite : un quart de récolte tout au plus, avec des rendements moyens à 9,5 hecto/hectare contre une trentaine généralement. Les équipes de Jean-Marc Moron n’ont pourtant pas ménagé leurs efforts tout au long de l’année pour tirer le meilleur des 12,4 hectares (dont 10 ha de villages et premiers crus sur le finage nuiton) d’un domaine constitué de dons et de legs de vignes depuis 1633.
Une trentaine de pièces de vin attendent finalement leur heure dans les entrailles du domaine. « Un vrai gruyère, je n’ai jamais vu ça, même avec les gelées de 2016 », souffle le régisseur. Pour sa 34e et avant-dernière vendange, l’homme mesure sa désolation, il ne découvre pas les aléas du métier de vigneron. D’autant qu’il y a des raisons de boire le verre à moitié plein : ce millésime est digne des grands classiques bourguignons, flatteur et élégant, et ces micro-vinifications un peu nouvelles offrent « des robes intenses et très homogènes, ce qui n’est pas si fréquent ».
Jean-Marc Moron a même trouvé un plaisir enfantin à explorer les stocks historiques pour ajouter à la vente, sur une idée commune des Hospices Civils et du nouvel opérateur iDealwine, des millésimes de 2005 à 2017 (lire encadré ci-dessous). Des fûts de vin primeur et des grandes reliques de bouteilles et de magnums ? Exceptionnel dans tous les sens du terme.
Vins primeurs, vins de collectionneurs
36,5 pièces du domaine des Hospices de Nuits seront mises en vente, dimanche 9 mars, dans le grand cellier du château du Clos de Vougeot. Une récolte confidentielle (25% de la production 2024, voir schéma ci-dessous) qui en fait d’autant plus « le secret le mieux gardé de la Bourgogne », tel qu’a choisi de le qualifier iDealwine, nouveau commissaire-priseur de la vente de charité nuitonne pour les cinq prochaines années.

La 64e Vente des vins de Nuits sera marquée par deux nouveautés : 240 bouteilles et 120 magnums des millésimes 2005 à 2017 viennent très exceptionnellement garnir le catalogue de la vente (les vins seront répartis en lots de 1, 2, 3 ou 6 flacons), tandis que la cuvée des bienfaiteurs sera une pièce de blanc (Nuits-Saint-Georges 1er cru Les Terres Blanches ).
Pour faire monter les enchères, l’association « Coucou Nous Voilou », récipiendaire de la pièce de charité, enverra Chantal Ladesou et Philippe Candeloro et sur l’estrade. L’an passé, Éric Laugérias avait chauffé le grand cellier et battu le record d’enchères pour la cuvée des bienfaiteurs (68 300 euros, dons compris, pour la Fondation Clément-Drevon).

1938-2025, d’une vente à l’autre
Alain Cartron est plutôt séduit par la proposition. Le maire de Nuits-Saint-Georges veille à tout ce qui fait la promotion de sa ville. Avant de passer l’écharpe, le récent projet de « kilomètre 20 » lui fait espérer une nette montée en gamme œnotouristique, qui consacrerait la ville dans sa côte et ses Hautes-Côtes. « Nous sommes une cité modeste au centre des Champs-Elysées de la Bourgogne, nous avons besoin de cela », explique l’édile, jamais avare d’anecdotes concernant le triple rayonnement nuiton sur terre, dans les astres et sous la mer grâce au sous-marin français Rubis, que la ville parraine depuis 1991. Ses occupants auraient même trinqué au nuits-saint-georges un 14 juillet, au large des côtes libyennes. Parole de général.
Cette vente devait d’autant plus se tenir qu’elle s’inscrit dans « un week-end traditionnel qui correspond tout à fait à l’esprit des Nuitons, qui aiment de retrouver dans une ambiance conviviale ». Le programme d’activités est varié, il permet tout à la fois de se familiariser avec les vins nuitons grâce à l’esprit d’équipe de son syndicat, de s’initier aux secrets du chocolat, de découvrir l’âme associative et commerçante de la ville, voire de galoper entre les vignes dans le cadre d’un semi-marathon toujours aussi couru.
Alain Cartron est en outre une sorte de gardien du temple. Son histoire avec la vente des vins est d’autant plus forte qu’elle rejoint celle de son grand-père Henri Cartron, lui-même premier magistrat nuiton durant la guerre. Disparu en 1949, Henri, dont le grand oncle Joseph fonda la maison de liqueur bien connue, fera partie des fondateurs de la confrérie des Chevaliers du Tastevin, avec les piliers Georges Faiveley et Camille Rodier, le 16 novembre 1934. Il apparait, moustache impeccable, sur l’imposant tableau des fondateurs accroché au sein du château du Clos de Vougeot. Le petit-fils reconnaissant conserve précieusement, chez lui, un portrait aux couleurs pourpre et or.

Alors à la tête des hospices de la ville, Henri Cartron décida d’organiser une vente aux enchères des vins produits par le domaine viticole de l’hôpital. La première édition se tint ainsi le 3 avril 1938, avec exactement 30 pièces de la récolte 1937 et une soixantaine de bouteilles de marc pour la soif, époque où l’on vendait encore par adjudication de 300 bouteilles. Un document atteste la décision des hospices « de vendre, désormais, leurs vins fins de pinot noir aux enchères, lorsque les conditions climatériques (sic) de l’année permettront de réaliser une bouteille de bonne qualité. Cette vente (…) aura toujours lieu au printemps, après deux soutirages, afin de permettre une bonne dégustation. »
Le syndicat d’initiative de Nuits est déjà un pilier de l’aventure. Il sélectionne également auprès de ses membres viticulteurs et négociants les vins les plus fins des années 1934, 1935 et 1936. Chicotot, Faiveley, Gouges, Grivot, Japiot, Michelot, Gouachon, Gesseaume et bien d’autres familles portent l’événement sur les fonts baptismaux, dans l’ancienne salle de spectacles Henri de Bahezre, actuel cinéma nuiton, à l’emplacement même où est née la vineuse confrérie. Ainsi va le grand film de Nuits-Saint-Georges.
« Nous sommes une cité modeste au centre des Champs-Elysées de la Bourgogne, nous avons besoin de la Vente et de son week-end. »
Alain Cartron, maire de Nuits-Saint-Georges
« De zéro à six candidats ! »
L’hôpital, comment l’oublier, fait donc l’objet d’une attention permanente et historique. Son ancien bâtiment sera réhabilité par quelqu’un d’autre, les Hospices Civils et la mairie y travaillent. Un peu plus loin, les soignants de l’hôpital de 2018 œuvrent au service de 124 résidents d’Ehpad. « L’activité nuitonne est certes focalisée sur nos ainés, mais l’institution Hospices Civils prend soin des autres d’un bout à l’autre de la vie. Beaune accueille 600 naissances chaque année et cela nous fait aussi penser aux plus jeunes », explique son directeur Guillaume Koch, pour mieux contextualiser le choix de l’association « Coucou nous Voilou » comme récipiendaire de la pièce de charité cette année.
On ne nait pas en sachant diriger un super-hôpital vigneron entre Beaune et Nuits-Saint-Georges. À son arrivée en octobre 2023, outre le fait de guider un navire de quelque 1500 employés, cet Alsacien d’origine a dû appréhender l’aspect culturel et profond de sa mission. L’acculturation va bon train. Le directeur se glisse modestement dans le pas de ses prédécesseurs, tout en assumant un style bien à lui. Concernant la vente des vins des Hospices de Nuits, il mesure déjà sa montée en puissance à l’aune des commissaires-priseurs intéressés par ce marché public : « Nous sommes passés de zéro candidat à six ! », pose le directeur, tout en louant le travail de Me Hugues Cortot sur les cinq dernières années. L’expert dijonnais « s’était proposé de gré à gré, car appel d’offres avait été infructueux. C’est dire le travail de tout le monde effectué depuis 2020 ».
Même si les bonnes surprises existent, l’édition 2025 ne devrait pas être la plus lucrative. « Mais dans notre budget, les recettes de la vente des vins font partie de ce que nous appelons la dotation non affectée, indépendante de la stratégie de l’hôpital. Les ventes aux enchères sont une histoire magnifique et un formidable atout, mais c’est une situation totalement atypique, sur laquelle nous ne pouvons pas baser totalement notre stratégie. Avec notre directrice des finances Marie-Catherine Moraillon, nous restons donc prudents, tout en considérant bien la chance que la générosité de tout le monde nous permette de continuer à investir dans une période contrainte. »
Guillaume Koch s’est donc familiarisé avec ces particularismes. Dans le même temps, ce vrai amateur de vin a goûté aux vertus nuitonnes, tout en prêtant l’oreille aux moindres inquiétudes. La rumeur d’une fusion des domaines viticoles de Beaune et de Nuits, pas si incongrue sur les plans strictement comptable et logistique, avec à sa tête une sorte de « super régisseur », lui est vite parvenue. « Deux domaines mais une vente ? Un seul régisseur mais deux ventes ? Un seul domaine réunifié ?, fait mine de s’interroger l’intéressé. Au vu de l’importance pour le territoire et pour la viticulture, j’ai tenu à rassurer tout le monde : nous resterons sur deux domaines, chacun avec son histoire, la typicité de sa production, ses coutumes », tranche Guillaume Koch, avançant que « prendre une décision aussi importante pour notre histoire ne se serait de toute façon pas fait sans le conseil de surveillance de l’hôpital ».
« Dans notre budget, les recettes de la vente des vins font partie de ce que nous appelons la dotation non affectée, indépendante de la stratégie de l’hôpital. »
Guillaume Koch, directeur des Hospices Civils de Beaune

iDealwine, nouveau venu
Cyrille Jomand goûte assez bien cette décision. Le CEO d’iDealwine est le nouveau visage de la Vente des vins des Hospices de Nuits. Pour pouvoir taper le marteau, il a trouvé le temps de se former au métier de commissaire-priseur, « qui me passionnait déjà depuis longtemps ». Il porte ces nouveaux habits avec un certain sens de l’élégance et de la précaution. La success story a pourtant de quoi faire bomber le torse : à 26 ans, avec Angélique de Lencquesaing et Lionel Cuenca, ses amis et associés de toujours rencontrés sous les voûtes du palais Brongniart époque bourse de Paris, il a fondé le leader mondial des enchères de vin en ligne. Tel est leur « bug de l’an 2000 » à eux. Le trio capitalise sur une complémentarité évidente.
Leur passion pour les gens et le vin, dans cet ordre, a permis de construire patiemment une belle PME de 60 collaborateurs d’une dizaine de nationalités, « avec beaucoup de stagiaires devenus des cadres », développée en Asie et aux États-Unis (un bureau à New York arrive). En privé, les acteurs historiques de la vente nuitonne n’ont pas manquer d’apprécier la bonne volonté et les talents d’une jeune équipe.
IDealwine, pour les grands amateurs et les collectionneurs, c’est surtout un outil d’évaluation de référence, une base de données aux mensurations incomparables : 3 millions de cotations recueillies depuis 1992, avec une agrégation des résultats des ventes aux enchères françaises, « exactement comme il existe les cotes de l’automobile ou de l’art ».
Outre l’activité socle des enchères, iDealwine a développé une importante activité e-caviste avec vente à prix fixe, sur la base de plus de 900 domaines partenaires. C’est aussi la première maison française de vente aux enchères de vins, au travers de sa filiale International Wine Auction (IWA), opérateur d’enchères agréé. Dans ce contexte, la Bourgogne est tout sauf neutre. Idealwine a des bureaux à Beaune depuis une bonne année, avec une acheteuse déjà bien intégrée, Amicie Debavelaere, pour faire le lien avec le tissu local.
« En 2020, alors que nous avions historiquement débuté notre activité avec le Bordelais, elle est devenue la première région vendue en valeur sur notre baromètre annuel des enchères », explique sans grande surprise Cyrille Jomand, mettant en parallèle « le fait qu’à la même période, les acheteurs étrangers sont devenus majoritaires sur iDealwine, avec 60 nationalités parmi 650 000 inscrits sur notre plateforme ».
Le CEO n’est pas qu’un homme de chiffres. Ce lyonnais d’origine, au profil dégustateur plus que stockeur, a encore en lui les parfums d’un pommard du domaine de Courcel, véritable madeleine de Proust familiale. Quand on lui parle de ceux qui l’ont aidé à percer les mystères de la Bourgogne, il cite spontanément Sylvain Pitiot, le vigneron-topographe et ex-régisseur emblématique du Clos de Tart, ou le regretté Louis-Fabrice Latour. « Nous avons pu acheter ensemble une pièce des Hospices de Beaune en 2005 », loue sobrement Cyrille Jomand, qui, « honoré d’être choisi », a beaucoup travaillé avec ses équipes sur le sens nouveau à donner à cette vente nuitonne, y compris d’un point de vue marketing. L’incomparable mosaïque du domaine leur a inspiré une phrase-clé : « Le secret le mieux gardé de la Bourgogne. » Le millésime est rare. Cela ne pouvait pas mieux tomber.