Jane Eyre n’est pas seulement une célèbre gouvernante sortie des romans de Charlotte Brontë. Son parfait homonyme est une négociante en vins australienne ayant pris racine à Beaune il y a quinze ans. Charmée par son travail, l’influente Revue du Vin de France a distingué cette ancienne coiffeuse « Négociante de l’année 2021 ». Portrait.
C’est une histoire que les journalistes de tout poil adorent. Imaginez un peu, une coiffeuse australienne bien sous tous rapports, qui s’intéressait au vin mais sans plus, devenue en quinze ans une négociante aussi discrète qu’estimée en Bourgogne. Not bad. Pas du genre à couper les cheveux en quatre, Jane a estimé qu’elle avait assez vu Melbourne. « J’avais 26 ans, et je me suis dit que je n’allais pas faire ça toute ma vie. » En 1998, elle file en Europe avec son compagnon. Les vendanges à Cheilly-lès-Maranges, au beau domaine Chevrot, plantent la première graine. « J’ai adoré. Je suis rentrée en Australie, me suis inscrite dans un diplôme d’œnologie et ai travaillé chez un important caviste local. Personne de ma famille n’était dans le vin, mon père travaillait dans une centrale électrique, ma mère était infirmière… »
Un wine studio au château de Bligny-lès-Beaune
Puis Jane a continué ses périples bourguignons, en restant curieuse de tout et de tous. « Je ne ratais pas une récolte », affirme l’intéressée, que le vigneron murisaltien Dominique Lafon finira par décider de s’installer en Bourgogne, un jour de vente des vins des Hospices de Beaune. « J’ai commencé adjointe du vigneron américain Chris Newman à Beaune et rapidement, je me suis intéressée au négoce. Dominique m’a accompagnée. En 2011, il m’a ouvert les portes de sa cave pour faire mes premiers vins. En 2018, je me suis lancée, seule, j’ai acheté cinq fûts, une amie d’Australie m’a prêté 6 000 euros ! »
Le souvenir de ses premiers raisins à vinifier, en Savigny-lès-Beaune 1er cru, est impérissable. Aujourd’hui, Jane a installé son activité au château de Bligny-lès-Beaune. Dominique Lafon et son ami Pierre Meurgey y ont créé un « wine studio », sorte de pépinière tout équipée pour vignerons et négociants débutants. Un cadre idéal pour cette femme patiente, qui a accepté de « grandir très doucement » avec les sacrifices que cela implique.
Une professionnelle consciencieuse aussi, qui laisse un bon souvenir partout où elle passe. La Bourgogne du vin étant petite, sa réputation a vite été faite auprès des professionnels. Tous ont déjà reçu d’elle ces fameux petits messages qu’elle signe en franglais, car elle a toujours peur de mal se faire comprendre. Jane fait mine de s’en désoler. « Je suis moitié australienne, moitié norvégienne. Aujourd’hui encore, j’ai beaucoup de mal à l’écrit, c’est un handicap. Je suis arrivée sans un mot de français. Or ici, tes études, ton positionnement social, influencent beaucoup de choses. »
Les fruits du travail
Comme beaucoup d’autres, Jane a souffert des derniers événements. Export au ralenti, restaurateurs à l’arrêt, vous connaissez la chanson. Cette hyperactive, en veille permanente habituellement, a donc découvert le chômage au quotidien. Puis la vie est revenue comme une vigne refleurit. Et l’influente RVF a goûté ses productions et l’a choisie, ô joie, comme Négociante de l’année 2021 – première femme à recevoir cette distinction qui plus est. « Tous les vins de ce domaine sont une grande réussite, profonds, sapides tout en gardant beaucoup de naturel et d’élégance », estime notamment le magazine spécialisé. « Ce titre m’a ouvert des portes immédiatement. On s’est très vite intéressé à mon travail, il a généré des demandes à l’export. Je suis une femme, qui plus est étrangère, et il y a une réelle curiosité pour mes vins », apprécie, pas naïve, la médaillée.
18 000 à 20 000 bouteilles sont produites chaque année par la maison Jane Eyre. Cette dernière se revendique volontiers « spécialiste du pinot noir » et évolue sur de bien jolies appellations : Côte de Nuits Villages, Aloxe-Corton, Volnay, des premiers crus du côté de Santenay, Savigny, Beaune, Chassagne et Gevrey, un grand cru Corton-Renardes et quelques flacons plus confidentiels dans le Beaujolais et le Jura, histoire de ne pas mettre tous ses eggs dans le même basket (l’expression existe aussi en anglais).
« Aujourd’hui, je récolte enfin les fruits d’un travail de quinze ans », conclut la jeune quadra, toujours autant enracinée à la Bourgogne. « Je reste toujours australienne dans ma tête, mais ma fille est née ici. Et pour le pinot noir, je ne peux pas être dans une meilleure région ! » Au bon endroit, au bon moment, pour continuer à écrire le roman de sa vie. Charlotte Brontë n’aurait pas fait mieux.
Rubrique en partenariat avec Wall Street English,
le n°1 des cours d’anglais pour tous
Tous les épisodes « Wall Street English »
🇺🇲 #9 Becky Wasserman, adieu à une grande dame du vin
🇦🇺 #8 Jane Eyre, ex-coiffeuse devenue Négociante de l’année 2021
🇺🇲 #7 Brittany Black, créatrice d’une librairie anglophone
🇬🇧 #6 Christopher Wooldridge, le docteur vélo et mister bike de Dijon
🇺🇲 #5 Alex Miles, personnage multicasquette et fin gourmet
🇬🇧 #4 Deborah Arnold, Dijon et sa cité des dukes
🇬🇧 #3 Jasper Morris, pape des dégustateurs en Bourgogne
🇦🇺 #2 Kevin Pearsh et ses totems de Commarin
🇬🇧 #1 Clive et Tanith Cummings, protecteurs de l’abbaye de La Bussière