Par tous les saints! est le titre du prochain hors-Série de Bourgogne Magazine, en kiosque le premier mars. En grand spécialiste des questions vaticanes et plus largement religieuses, Bernard Lecomte propose de redécouvrir la Bourgogne dans les pas de ses « auréolés ». Glorifiés ou méconnus, urbains ou ruraux, ils ont souvent bien mal fini. Le catalogue des tortures qui ont mis fin à leurs jours révèle l’ingéniosité humaine dans ce domaine. Parmi eux, histoire de vous mettre l’eau (bénite) à la bouche, voici ce que l’on sait du mystérieux Bénigne, saint dijonnais s’il en est.
Par Bernard Lecomte
Beaucoup de vies de saints relèvent de la légende. Ou plus exactement, comme l’explique feu le chanoine Marillier dans son Histoire de l’Eglise en Bourgogne, de la chanson de geste, sur le modèle de la fameuse Chanson de Roland. C’est-à-dire que tel ou tel saint a bel et bien existé, qu’il a certainement marqué ses contemporains, mais que, bien après sa mort, des moines zélés ou des clercs imaginatifs ont reconstitué sa maigre biographie pour la transformer en une édifiante épopée à l’attention des générations futures.
A Dijon, une tombe anonyme…
Ainsi en est-il du plus important saint de Dijon, Bénigne, dont on ne sait quasiment rien. Au point que le vieux Grégoire de Langres, évêque du diocèse, avait interdit son culte au début du VIè siècle, inquiet de voir de plus en plus de fidèles se rendre dans le vieux cimetière de Dijon, à l’ouest des remparts de la ville, pour vénérer une tombe anonyme, à moitié en ruines, à côté de celles de saints authentiques : Paschasie, Floride, Hilaire, etc. Les petites gens de la ville étaient attirés par ce mystérieux sarcophage : quand on invoquait le défunt qui y reposait, il se produisait des miracles et on était souvent exaucé ! D’où le nom de ce saint inconnu : Bénigne, c’est-à-dire le « bien bon », le « bienveillant ».
Or le vénérable évêque Grégoire aurait été réveillé, une nuit, par saint Bénigne en personne, qui lui aurait reproché de faire obstacle à sa dévotion : non seulement le vieil homme autorisa alors le culte de saint Bénigne, mais il le favorisa et l’organisa en construisant une chapelle pour les pèlerins. Un clerc à l’imagination fertile raconta alors la « geste » de saint Bénigne, jeune prêtre envoyé évangéliser la Gaule au IIIe siècle par Polycarpe, le très sage évêque d’Ephèse : débarqué à Marseille avec son collègue Andoche, Bénigne traversa Lyon et s’arrêta à Autun où il rencontra le fameux préfet Faustus, qui s’était converti à la nouvelle religion, et dont on a dit plus haut comment le fils Symphorien deviendrait plus tard, lui aussi, un saint martyr. Quelques années plus tard, on retrouve Bénigne à Langres, où il baptise les trois enfants de Léonille, la sœur de Faustus, qui deviendront saints à leur tour, puis à Dijon où l’empereur Aurélien, grand pourfendeur de chrétiens, le fait arrêter, le supplicie et le met à mort. « Bénigne avait une foi incommensurable, il est allé au bout de ses idées », explique le Dijonnais Pierre Cléon, qui lui a consacré une biographie, Saint Bénigne, apôtre de la Bourgogne.
Le culte du mystérieux saint Bénigne fut très populaire. Il est devenu le saint protecteur de Dijon et de sa cathédrale, dont la crypte renferme le célèbre tombeau. Il a donné son patronyme à des centaines de baptisés dijonnais – comme le grand prédicateur Bossuet, Jacques-Bénigne de son prénom – et à une trentaine d’églises à Epagny, Prenois, Tellecey, Nantoux, Darcey, Beaune, Quemigny-sur-Seine, etc. Il faudra attendre le XIXe siècle pour qu’un célèbre érudit dijonnais, l’abbé Lejay, rétablisse la vérité sur ce pieux roman nourri de nombreux faits et de personnages réels, mais dont le héros n’a peut-être jamais existé.
Par tous les saints! Hors série de Bourgogne Magazine, 116 pages, 7,50 euros, dans tous les kiosques à partir de début mars.