Notre chronique #LaVigneContinue prend le pouls des vignerons en temps de Covid-19. Troisième épisode sous le soleil de la Côte de Beaune avec François Bitouzet, du domaine Bitouzet-Prieur… en direct de l’enjambeur !
FICHE D’IDENTITÉ
Surface plantée : 13,5 ha
Aires d’appellations : Volnay, Meursault, Beaune, Puligny-Montrachet
Production moyenne : 60 000 bouteilles/an
Alors, ce confinement ? On s’ennuie en Côte de Beaune ?
Pas vraiment ! Sur ce point, les vignerons ne sont pas les plus à plaindre. Je travaille la semaine et essaye de couper le week-end, en jouant le jeu du confinement. C’est dur, et, pour en avoir parlé avec un ami confrère, on a vite compris que notre salut venait de la vigne. Je ne voudrais pas paraître condescendant, mais je plains sincèrement les gens qui n’ont rien à faire en ce moment…
On vous sait matinal…
Je ne suis pas le seul. Aujourd’hui (ndlr, entretien réalisé vendredi 17 avril), j’étais sur l’enjambeur vers 5h30, d’humeur lyrique avec un fond de la 5e symphonie de Beethoven, sous le soleil qui se dévoilait à peine… (faussement exalté) Un moment de grâce, comme on dit ! Ça change des « Covid news » qui tournent en rond, avec ces scientifiques et experts en tout et n’importe quoi. C’est le point positif de cette expérience : il y a un vrai retour à la terre.
C’est beau chez vous. Vous êtes où ?
À Volnay, dans les premiers crus Pitures, pour le premier traitement au souffre sur deux parcelles les plus précoces, sensibles à l’oïdium. Comme cette maladie aime le chaud et froid et que les nuits restent fraîches, je préfère la méthode bio préventive. Pas de vent, du soleil et de la lumière : les conditions sont optimales pour traiter. Le début du confinement a coïncidé avec le travail des sols, notamment les premiers griffages pour faire respirer la terre. Être autant entre les rangs à cette période est assez inhabituel : d’ordinaire, j’aime bien concentrer les rendez-vous pros au printemps, pour être plus serein dans les mois décisifs qui viennent. Mais là, forcément, on s’adapte…
Vous ne faites pas tout, tout seul, quand même…
Heureusement non. Mon équipe compte sept personnes, dont deux tâcherons en autonomie. Un saisonnier ainsi qu’un cousin étudiant à la Viti complètent le dispositif. Les travaux étant principalement à l’extérieur, en dehors du suivi des malos (ndlr, la fermentation malolactique du vin en fût) et ouillages, les mesures barrières étaient assez simples à mettre en place.
À quel moment avez-vous senti que nous étions « en guerre » ?
Sans doute à l’annonce d’Edouard Philippe, qui nous est tombée dessus le 14 mars. J’ai pensé aux restaurateurs en plein service… en leur souhaitant d’abord bien du courage, puis en ai appelé pour les autoriser à suspendre les échéances qui arrivaient. Le vin a l’avantage de ne pas se périmer, je ne me voyais pas encaisser des versements sans broncher. Les priorités étaient ailleurs pour chacun.
« D’après la Chambre d’agriculture, à ce stade, 2020 sera l’un des millésimes les plus précoces
depuis 80 ans. »
Mais de votre côté, c’est zéro pointé…
Oui. À ce jour, aucune de nos bouteilles n’est sortie des stocks. Heureusement, j’ai pu compter sur l’export en janvier et février, ce qui sauve la trésorerie. Le commerce s’est arrêté net, et avec lui les relations sociales avec nos clients. Ces pros qui viennent déguster le millésime 2018, les Grands Jours de Bourgogne annulés… Heureusement, on continue de se côtoyer dans les vignes – à distance raisonnable. La solidarité entre vignerons n’est pas qu’une vue de l’esprit. En parlant de ça, je viens de recevoir un message de Guillaume Boillot (ndlr, maison Henri Boillot à Meursault). C’est un ami, il travaille dans le climat juste en-dessous, les Fremiets, et s’étonne de me voir à l’arrêt aussi longtemps pour vous répondre… Il me croit en panne. Tout va bien Guillaume !
Comment va la vigne ?
Elle est très en avance. D’après la Chambre d’agriculture, à ce stade, il s’agira d’un des millésimes les plus précoces depuis 80 ans. Nous avions déjà eu des années du même style en 2007, 2011, 2017 et 2018, avec des vendanges entre le 27 et 30 août en ce qui me concerne. Je ne suis pas un spécialiste pour en tirer des conclusions définitives sur le réchauffement climatique, mais j’observe. Cela m’interpelle.
Le risque gel a aussi plané…
En Côte de Beaune, oui. Le vent sec a sauvé la mise, et dans certains endroits il a fallu allumer des feux. Au domaine, nous n’en avons pas eu besoin, d’abord parce que cela ne fait pas partie de nos habitudes, ensuite grâce à une taille tardive des endroits gélifs, en plaine. Ce qui me préoccupe plutôt est la sécheresse. Depuis le confinement, il n’a pas plu une goutte…
Quid des vendanges ? La pénurie de main d’œuvre est-elle à craindre ?
Au lendemain de la fameuse annonce, j’ai tout de suite pensé que cela poserait problème, car nous avons l’habitude de loger et nourrir une cinquantaine de personnes pendant huit jours. J’ai un petit noyau habituel de vendangeurs locaux, mais je n’exclus pas de solliciter une main d’œuvre étrangère suffisamment autonome pour se loger elle-même si on nous l’interdit. Mais cette réflexion devrait sans doute être amenée à changer.
Et cette nouvelle cuverie à Meursault, au fait ?
Elle est quasiment prête. Les travaux étaient arrêtés le temps de trouver un plan B. Deux entreprises sont revenues mardi 14 avril, pour l’électricité et le réseau de thermorégulation des cuves, ces dernières ayant été installées en février. Le bâtiment est assez grand, nous avons affecté des zones propres à chacun, avec accès unique. Je prends soin de les tenir au courant des avancées rapides de la vigne, pour ne pas qu’ils soient surpris d’une rentrée de vendanges avant septembre (rires). La cuverie accueillera son premier millésime cette année, on se concentre donc sur l’essentiel : plomberie, électricité, coin sanitaire et cuisine pour casser le croûte et boire frais. C’est aussi important que le reste !
On vous a aussi aperçu masque sur le nez, au château du Clos Vougeot, pour l’opération gourmande à l’attention des soignants…
Ma première sortie de confiné ! La confrérie des Chevaliers du Tastevin, dont je fais partie, a organisé cette opération Renouveau en partenariat avec Vive la Bourgogne-Franche-Comté. Des membres du conseil sont venus en renfort pour préparer les colis avec l’appui de bénévoles. C’était l’occasion de se revoir, de partager une bouteille – sans trinquer pour une fois… Mais dans le regard, il se passe toujours des choses. Les occasions de se retrouver sont tellement rares… À ce sujet, nous avons instauré au domaine les apéros du vendredi soir avec l’équipe. Des moments bien réels, à distance respectable et avec un seul tour pour se servir…
« Au moins, on ne court plus. On va déjà réapprendre un notion importante pour nous autres vignerons : le temps. »
On fantasme sur ce genre de scène du « bien vivre » au retour à la vie normale. Va-t-on vraiment faire sauter les bouchons comme jamais en Bourgogne ?
Déjà, elle ne sera pas tout à fait normale. J’imagine qu’il y aura des cas de figures bien distincts : ce que l’on aura le droit de faire, ce que l’on pourra faire sans mettre en danger soi-même et les autres… Dans tout cela, je perçois plus que jamais l’utilité de prêcher la bonne parole pour les vins de Bourgogne.
Le Tastevin n’est-il pas une sorte de phare, justement ?
La confrérie est née en 1934, après le crise de 29 dont chacun connait les conséquences. D’éminents experts ont fait le parallèle, bien sûr. Nous avons un rôle à tenir, à notre échelle, en réfléchissant à ce qu’est notre art de vivre, sans forcément s’attendre à une révolution. Ce moment d’euphorie est humain. Nous sommes tous dans la privation et fantasmons sur l’exact opposé. Je crois que la vérité sera au milieu, comme souvent. Au moins, on ne court plus. On va déjà réapprendre un notion importante pour nous autres vignerons : le temps.
Propos recueillis par Alexis Cappellaro