S’il trouve du bon dans le plan de relance automobile, Laurent Charbois sait que la réalité du terrain se cache sous le capot. Les concessions Peugeot Dijon qu’il dirige, comme les autres, ne redémarreront pas d’un coup de perfusion magique. Le directeur tient à le faire savoir et tempère du même coup les fantasmes d’une supposée grande braderie.
« C’est maintenant que la difficulté commence. » Le propos est à considérer : son auteur occupe une responsabilité très transversale, entre les sites Peugeot Dijon (Saint-Apollinaire et Chenôve) et le pôle Bourgogne-Champagne du groupe Chopard. Basé à Besançon, ce dernier est le premier distributeur français de la marque au lion : un chiffre d’affaires qui dépasse le milliard, 2 150 collaborateurs à travers une soixantaine de concessions, autant d’années d’expertise… Ce qui s’appelle être au cœur du moteur.
À Dijon, Peugeot emploie 130 collaborateurs. « La boutique a été fermée le 17 mars, comme beaucoup », retrace Laurent Charbois, seul au monde ou presque dans ses bureaux de Saint-Apollinaire jusqu’au 20 avril. Une période « propice à l’introspection », s’efforce de positiver le dirigeant, trop au courant que si le commerce est à l’arrêt, le volet des ressources humaines, lui, ne se referme jamais. Puis il a fallu relancer les livraisons de véhicules neufs peu avant le déconfinement, « les clients réclamant à raison leur voiture, ce qui a été une bonne chose pour se remettre dans le bain et relancer la machine avec un retour progressif des collaborateurs ».
1 à 2% de marge nette
Cette machine a subi un sérieux coup de frein, c’est une évidence. De l’aveu même du patron, qui assure tout de même avoir conservé sa fibre de « challenger », « ça ne restera pas la plus belle période de ma vie ». Pour remobiliser une filière entière sur le bord de la route, soit 400 000 emplois directs et plus du double en comptant les services, l’État a promis 8 milliards d’aides diverses. Bonus à l’achat ciblé, prime à la conversion, les leviers « sont toujours bons à prendre, ils peuvent créer un effet d’aubaine ». Celui-ci sera bref, car « tout va aller très vite avec ce volume défini par le gouvernement. L’économie doit être perfusée, oui, mais à court terme. Par le passé, ce genre de primes trop longues a pu entraîner une chute du marché. »
Je le dis en toute transparence au client : en l’état actuel, son choix revient à acheter maintenant un véhicule en stock ou attendre décembre.
Dans le même temps, Laurent Charbois ne peut s’empêcher de déplorer le grand mélange des genres qui règne entre constructeurs, mandataires et concessionnaires. Les médias nationaux battent la mesure et la démesure sur le sujet, nourrissant le fantasme d’une grande braderie ou de parkings pleins à craquer chez les concessionnaires. « En réalité, PSA a raccourci son circuit de production depuis longtemps. Les usines ont repris, mais elles n’assument que des commandes clients. Il faudra au moins 10 semaines avant une production à peu près normale. De notre côté, un concessionnaire n’a pas la capacité de brader, car sa marge nette est de 1 à 2% sur une voiture neuve. » Forcément, le client s’attend à des concessions discount et « certains crient au loup, confrontés à cette réalité du terrain ».
Acheter un véhicule maintenant ou attendre décembre
Peugeot Dijon a devant lui « un petit mois de stock », mais avec des voitures d’occasion en surnombre. « L’équilibre est complexe, vendre à perte reviendrait à creuser son trou », répond le patron quant à la possibilité de brader à tour de bras. « Je le dis en toute transparence au client : en l’état actuel, son choix revient à acheter maintenant un véhicule en stock ou attendre décembre. »
À Saint-Apollinaire, on est loin du rythme de croisière de 250 à 300 véhicules neufs vendus au mois. « Mais la reprise est plutôt bonne. En dehors des annonces, quand on fait bien le job, c’est dynamique. Donc on vend des voitures, pour le particulier principalement », détaille l’intéressé, qui déplore toutefois des annulations en cascade, les pros remisant leur flotte au garage au profit du télétravail, les foyers touchés par le Covid ou pris par le doute remettant à plus tard l’acte d’achat…
Personne n’en parle, mais en se projetant à l’année, (l’équipement anti-Covid) c’est 100 000 euros rien que pour nos concessions dijonnaises. Colossal !
« Par la force des choses, on renoue avec la nécessité de prospection, rares sont ceux qui viennent en concession pour le moment, malgré nos process sanitaires stricts. La désinfection fait partie de notre quotidien. » Ce nécessaire équipement sanitaire trouble les rapports, comme partout. « Nous sommes une société de service, notre raison de vivre, c’est le contact avec le client. » Et il coûte. « Personne n’en parle, mais en se projetant à l’année, c’est 100 000 euros rien que pour nos concessions dijonnaises. Colossal ! »
Dans ce contexte fou et flou, on peut aussi voir le réservoir à moitié plein. « Cela nous pousse à repenser notre organisation, ou l’on pouvait être dans le confort », mesure le directeur. La trésorerie est plus que jamais le nerf de la guerre, mais le groupe Chopard a mis un point d’honneur à payer ses fournisseurs, « car nous n’étions heureusement pas en situation de fragilité hier ». Puis, le marché de l’automobile ne va pas s’effondrer du jour au lendemain. Mais il demeure certain « que l’on ne pourra plus appréhender la question de la mobilité comme avant ». Les mouvements de fond ne sont pas toujours lisibles aujourd’hui, « il faut être très attentif à ce qu’il se passe autour de nous », conclut Laurent Charbois, convaincu que le lion rugira de nouveau. Pour l’heure, la survie économique exige la ruse du renard.