Dimanche 11 novembre, on célébrera le centenaire de l’Armistice de 1918. Jusqu’au 31 mars, le château du Clos de Vougeot propose une exposition inédite et passionnante autour du vin sous la Grande Guerre. Noyant l’absurdité des combats, le pinard a concouru à sa manière à la victoire, comme l’expose le brillant travail collaboratif dirigé par Christophe Lucand.
Par Alexis Cappellaro
Pour Dijon-Beaune Mag #72
Du pinard au château du Clos de Vougeot ? Impensable. Pas ici, pas dans ce temple de la promotion mondiale des vins de Bourgogne, pas dans la maison mère des Chevaliers du Tastevin. Etienne Camuzet, vigneron-député et ancien propriétaire des lieux, en tousserait ! Ce contre-pied s’explique facilement, en réalité.
Au départ, un historien, Christophe Lucand, auteur d’un remarquable travail sur le rôle capital du vin durant la Première Guerre mondiale* – un thème « étonnamment non traité ou qui, à peine survolé, sombrait très vite dans le folklore du gros rouge qui tache », dixit l’intéressé, par ailleurs président de la « comcom » du pays de Nuits-Gevrey. Au milieu, en greffon, la Chaire Unesco « Culture et Traditions du Vin », « que l’on nous envie partout en France », et enfin, pour le contexte, le centenaire de l’Armistice. Les conditions étaient donc réunies pour créer un passionnant assemblage.
La Victoire
À ce sujet, les propos liminaires tirés d’une lettre de 1935 signée Philippe Pétain, disent tout : « De tous les envois faits aux armées, au cours de la guerre, le vin était assurément le plus attendu, le plus apprécié du soldat. Pour se procurer du pinard, le poilu bravait les périls, défiait les obus, narguait les gendarmes […] Le vin a été, pour les combattants, le stimulant bienfaisant des forces morales comme des forces physiques. Ainsi a-t-il largement concouru à la Victoire. »
Mise en forme dans un souci de fluidité par la Confrérie des Chevaliers du Tastevin, avec l’aide de l’association dijonnaise Avant l’Assaut qui a prêté du matériel et le contenu sonore, l’exposition se concrétise dans l’ancien dortoir des moines. Abrités par la monumentale charpente de bois datant du XIVe siècle, 14 panneaux thématiques richement illustrés dévoilent la grande histoire du pinard dans les tranchées, au milieu de pièces de collection permanente comme ces jabloirs, chanfrenières, rabots de fonds, racloir à douilles…
La Loi Evin, connait pas !
C’est captivant, vraiment, d’autant que le vernissage était accompagné d’une conférence menée par Christophe Lucand. Après un parcours méticuleux des abondantes archives du Ministère de la Guerre, des vieux grimoires ficelés et noircis de poussière (« car un vrai historien se salit les mains ! ») pour la plupart, l’expert a retrouvé quantité d’informations et de documents, comme ces quelque 250 cartes postales dédiées au saint pinard, dans une mise en scène souvent tragicomique et vectrice d’une propagande assez grossière, pour ne pas dire autre chose.
On apprend surtout que le vin – en fait « un breuvage souvent coupé, mouillé, bromuré, titrant à peine 9 degrés » – était un fidèle compagnon pour se donner du courage et affronter l’horreur d’une guerre furieusement meurtrière. Après la bataille de la Marne, la guerre de position a nécessité un ravitaillement conséquent de plus ou moins 4 millions de personnes. On estime à 12 millions d’hectolitres distribués en 1917, trois de plus l’année d’après. Proprement hallucinant. « Il existait deux wagons à ne pas différer : ceux des munitions et ceux du pinard », livre dans un demi-sourire le conférencier, exhumant au passage de bouleversants témoignages de poilus et de hautes autorités, diffusant des publicités d’époque vantant les vertus d’une boisson nationale… La loi Evin, à l’époque, connait pas !
Appellations d’origine
Le titre de l’exposition est un clin d’œil à La Madelon, hymne populaire écrit par Louis Bousquet et repris vaillamment dans les tranchées. Les poilus chantaient bien mais buvaient rarement bon, sauf pour les rares rations de fête : une bouteille de vin fin pour quatre, avec jambon cru, pain d’épices, orange… Le luxe, le vrai.
Au bout du délire meurtrier, tout de même, un grand enseignement assez méconnu : le traité de Versailles incluait dans ses clauses économiques une « loi fondatrice, le 6 mai 1919, sur la protection de nos appellations d’origine » contraignant l’Allemagne à se conformer au modèle français. L’origine, le terroir, devenait alors officiellement l’identifiant premier de la qualité d’un vin. Un modèle incontestable ici, en Bourgogne, que l’on vante 100 plus tard au château du Clos de Vougeot, ce temple de la promotion mondiale des vins de Bourgogne, maison mère des Chevaliers du Tastevin…
et jusqu’au 31 mars, celle de saint Pinard le cistercien !
* Le pinard des poilus : une histoire du vin en France durant la Grande Guerre (1914-1918), par Christophe Lucand, Éditions universitaires de Dijon (EUD), collection « Histoires », 2015, 170 pages, 18 euros.
Le pinard des poilus
Exposition à découvrir jusqu’au 31 mars 2019, comprise dans le circuit traditionnel de visite du château. De septembre à octobre : ouvert tous les jours (9h-18h30 sauf le samedi, fermeture à 17h) ; de novembre à mars (10h-17h). Adulte : 7,50 euros, enfant et étudiants : 2,50 euros, gratuit pour les – 8 ans.