Le génie de Dantec va enfin resurgir. « L’anartiste » est né à Autun en 1950 sous le nom de Claude Goussard. Cinq ans après sa disparition, il revient grâce à la réunion de ses œuvres fantasmagoriques dans un ouvrage indispensable. Entre Bourgogne et Bretagne, Dantec, mondes fantastiques fait naviguer le dessin dans des eaux tumultueuses et hallucinantes.
Un Dantec peut en cacher un autre. Caustique et incisif, son humour multipliait les niveaux de lecture. Les Bourguignons le connaissaient principalement à travers sa période fluviale, à Saint-Jean-de-Losne. Ils voyaient en lui le militant des marins d’eau douce, après qu’il eut longtemps goûté le sel de la mer. Peu détectaient alors la grandeur du talent de ce vertigineux dessinateur de la complexité des âmes. Son rôle d’animateur iconoclaste n’était qu’une posture en façade. « L’anartiste », comme il se nommait lui-même, avait un gros bagage créatif dans la soute de son embarcation.
Dantec fut plusieurs. Natif d’Autun, Claude Goussard s’affirma dès l’enfance comme un cancre doublé d’un surdoué de l’écriture et du dessin. Il passait naturellement d’un monde à un autre, d’une époque à une autre, de l’encre à l’ancre, sans en faire des tonnes, sans se répandre sur ses nombreux dons. La publication d’un ouvrage-hommage, cinq ans après sa disparition, rend encore plus troublants les univers mystérieux qu’il couchait sur un papier blanc à grain moyen, armé d’une plume en acier à pointe tubulaire Rotring 0,10 mm, et d’un scotch repositionnable.
Le morbide et l’hilarant
Dantec, mondes fantastiques est un cadeau du ciel, diabolisant aux entournures, indispensable contre l’oubli d’un grand dessinateur. L’ouvrage est porté par son épouse Claire, soutenue par des amis morlaisiens de longue date, et édité par Skol Vreizh, une maison bretonne reconnaissante envers l’œuvre méconnue de Dantec. Rien d’étonnant, c’est bien dans la celtitude ambiante que ce dernier a découvert la certitude de ses tourments. Au plus profond, il a puisé son inspiration dans l’humanisme d’Albrecht Dürer et le génie de Jérôme Bosch. Au plus près, il s’est imprégné de la rigueur et du sens des perspectives de ses graveurs de référence, Philippe Möhlitz et Gustave Doré.
Dantec est pourtant resté lui-même, un cerveau foisonnant d’où jaillissent des scènes improbables mêlant l’hier et le demain, le réalisme et le délire, l’horreur et l’érotisme, le surnaturel et l’écologie sous-tendue par une vision apocalyptique du monde. Décloisonnant le morbide et l’hilarant, le voilà capable d’inventer une mer humaine qui déferle sous la coque malmenée d’un vaisseau fantôme. Puis de baptiser sa création Vendée Globes (1996) ! Vite un psy ! Dantec est dantesque. À côté de son monde, où Tolkien n’est jamais bien loin, Game of Thrones c’est du pipi de chat.
Avant son retour au pays, Dantec a passé une partie de sa vie sur les côtes bretonnes. Là où il tomba en amour de Claire. Au pays des galettes de Pont-Aven, dans la ville-pont de Morlaix, on l’a vu publiciste, navigateur passionné et artiste au long cours doué d’une précision inouïe. En 1992, il met le cap sur les eaux plus douces de la Bourgogne dans l’intention de réaliser son rêve d’enfance, habiter une péniche. En l’occurence l’Ars Europa, son refuge flottant de 38 mètres amaré à Saint-Jean-de-Losne. Son esprit créatif fit sensation autour du port côte-d’orien. L’association Bief (Bachots insolites et embarcations fluviales) ce fut lui, la brocante Canal Puces encore lui, le championnat du monde de godille sur bachots en fer avec parasols à franges, toujours lui… Que dire encore de l’inoubliable salon fluvial Paques Boat et de l’indispensable Dictionnaire marinier illustré produit avec son ami typographe, le local Thierry Bouchard.
Dantec à Dantec : « Encore bravo ! »
Au café de la Marine, à Saint-Jean-de-Losne, certaines chaises portent encore les marques de son séant pourtant serré de personnage filiforme. Puis Dantec a fini sa vie à Chassey-le-Camp, pas très loin de Chagny, où il posa ses bagages au côté de Claire, dans la discrétion et la chaleur d’une accueillante maison de pierre. Les derniers temps, il s’occupait de son jardin des simples, concoctait des confitures et des élixirs aussi goûteux que surprenant. Il ménageait sa monture, de plus en plus fatiguée depuis le début des années 2000. Redevenu Claude Goussard, Dantec s’en alla pour un dernier voyage un jour d’été, sans fanfaronner. Il avait 68 ans.
Claire Mazéas-Goussard connaissait mieux que quiconque la richesse intérieure du personnage. Elle ne pouvait pas le laisser partir sans imprimer une dernière fois le trait de génie de son mari. Dantec, mondes fantastiques se reçoit comme une claque, chaque illustration y est une extraordinaire aventure. « Mes dessins ne sont pas faits pour être beaux, ils sont faits pour raconter des trucs », résumait-il de manière assez simpliste. Pourtant, un tel niveau de détail et de profondeur réunis au service d’un imaginaire foisonnant ne peuvent que forcer l’admiration. L’ouvrage est ponctué en dernière page par la dédicace à lui-même d’un esprit libre joyeusement provocateur : « À Dantec et encore bravo ! » On l’entend qui se marre depuis les entrelacs de son paradis perdu.
📚 Dantec, mondes fantastiques, éditions Skol Vreizh, 118 pages, 96 reproductions, 27 euros. Informations et commande sur dantec-anartiste.fr