Michel Huvet est décédé à l’âge de 80 ans. On doit au journaliste, écrivain et auteur de pièce de théâtre dijonnais la création du service Culture du Bien Public. Président de la Société des Auteurs de Bourgogne de 1988 à 2008, Michel Huvet était aussi le créateur du Salon du livre de Dijon.
Article publié dans Bourgogne Magazine n°34 (2013)
Par Emmanuelle de Jesus
Michel Huvet apparaît, et pour qui est un peu sensible aux atmosphères, le voilà qui se teinte d’une subtile mélancolie mâtinée de passion. C’est peut-être la façon un peu lasse dont il tient sa clope, le visage où les épreuves ont laissé leurs marques… Puis le feu qui s’anime brusquement dans le regard dès que l’on évoque ses amours : le journalisme d’abord, à qui il a dédié l’essentiel de sa vie, dont il a appris les ficelles sur le tas à l’époque où les patrons de presse envoyaient les pigistes dans la rue avec ordre « d’ouvrir les yeux et les oreilles et de ramener des sujets ». Aujourd’hui les journaux ne sont plus aux mains des hommes de métier mais des financiers, la communication a remplacé l’info, le décryptage s’est substitué aux faits, l’humain disparaît derrière les chiffres. « Or la part de l’humain est essentielle à mes yeux, rappelle Huvet. Y’a pas d’objectivité dans ce métier, mais de l’honnêteté… » Il racontera éventuellement cela un jour, dans ses souvenirs qu’il intitulera, peut-être, Mémoires d’un pisseur d’encre…
L’autre grande affaire de Michel Huvet est la musique. Celle de Wagner, par-dessus tout, dont il dévoile l’intense attraction dans un petit ouvrage, Wagner sans masques, sorti à l’occasion du bicentenaire de la naissance du compositeur allemand. Wagner, Michel Huvet l’a découvert à l’âge de 17 ans lorsque, invité à Bayreuth avec les autres membres de la Compagnie des marionnettes poétiques à l’occasion d’un festival, il bénéficie d’un billet de faveur pour assister à Lohengrin. Il est foudroyé. « J’étais comme Saint-Paul sur le chemin de Damas », assure-t-il. Débute alors un amour passionnel, alternance de rejet et de fusion pour aboutir à ce livre… « L’aveu de plus de 40 ans de conflit entre Wagner et moi. »
Puissance poétique
Car ce n’est pas seulement en adorateur que Michel Huvet s’attaque au « cas Wagner », ainsi que l’avait baptisé Nietzsche dans son ouvrage éponyme. L’auteur ne dissimule aucune des ambiguïtés de cette musique associée comme il l’écrit « aux douteuses passions dont elle a fait l’objet », marquée à jamais du sceau de l’antisémitisme qui « même s’il n’a rien à voir avec la vision qu’en eut Hitler, n’en a pas moins ouvert la digue aux eaux saumâtres dans lesquelles le Führer allait se jeter un demi-siècle plus tard. » Et pourtant, ainsi que l’écrivit le dramaturge François Regnault en marge du Ring monté par Patrice Chéreau et Pierre Boulez, « il suffira toujours de lire Baudelaire pour aimer Wagner ». Baudelaire qui, dans la seule critique musicale écrite de sa vie – une défense du Tannhäuser joué à Paris puis retiré au bout de trois représentations devant un public scandalisé – a en effet chanté toutes les ivresses communes, passerelles oniriques et passionnées entre cette musique et son propre univers…
Le néophyte lira donc avec intérêt cet ouvrage lui ouvrant, en quelques pages claires, l’antichambre du monde wagnérien. Le connaisseur, lui, appréciera l’érudition de l’opus, tout particulièrement les pages où Michel Huvet décortique l’architecture de l’œuvre du compositeur afin d’en éclairer quelques-uns des secrets et tenter d’en approcher la mystérieuse attraction, la puissance poétique, finalement la passion. Celle-là même qui, dans le regard de Michel Huvet, perce sous le masque de la mélancolie…