Fils d’un tailleur de pierre devenu lauréat du Grand prix de Rome, Robert Rigot a connu les honneurs de la Villa Médicis et appartenu au gratin de l’art contemporain. Après 93 années d’une vie foisonnante, le sculpteur bourguignon s’est éteint le 1er juin à Chalon-sur-Saône où il était hospitalisé, a appris son entourage. Bourgogne Magazine l’avait rencontré dans son moulin de Buxy (Saône-et-Loire) en 2016, où il travaillait encore au quotidien. DijonBeaune.fr publie ici l’article in extenso, pour la postérité d’un grand esthète du territoire, qui laisse notamment à Dijon le fameux Rêve Ailé (1981) en l’honneur de Gustave Eiffel.
Depuis Buxy, la petite route de campagne grimpe à travers une campagne généreuse et vallonnée, entre parcelles de vignes, forêt et bocages. Approchant du sommet de la colline, le goudron fait place à un chemin d’exploitation, qui se faufile à travers un bois de résineux avant d’atteindre un petit plateau dégagé où s’élève la tour d’un ancien moulin en pierres de taille. Au passage, La Vie projetée salue le visiteur de ses formes sensuelles, celles d’un nu aux courbes généreuses jaillissant d’une arche d’anneaux métalliques entrelacés. Le mariage du vivant et d’une architecture imbriquée, deux éléments récurrents de la sculpture de Robert Rigot. Pas de doute, nous approchons de la tanière de l’artiste.
Dans le moulin de son enfance
Précédé par un chat « tombé du ciel et sorti un beau jour du buisson de buis pour ne plus repartir », le maitre des lieux vient à notre rencontre, plein d’énergie et de prévenance. A 86 ans, geste souple et sourire enjôleur, l’ermite n’a rien d’un sauvage au premier abord. Pétillant, bavard, toujours prêt à la discussion, à la confrontation. L’enfant du pays est ici chez lui. « Maman était Ardéchoise et papa d’origine iséroise, mais c’est ici, à Montagny pour commencer, que mon grand-père a ouvert une carrière en 1874. Ensuite, mon père a poursuivi sa carrière dans la pierre, comme tailleur puis comme contremaitre… Il a passé 72 ans dans la même entreprise ! » À 11 ans, alors que le secteur n’est « qu’une garenne remplie de lapins », le jeune Robert assiste impuissant à la destruction du moulin par les Allemands. Et se jure de le reconstruire quand il sera grand.
Robert Rigot en quelques dates
1929 : naissance à Buxy
1948 : Ecole nationale supérieure des beaux-arts à Paris
1952 : élève dans les ateliers de Janniot, Belmondo, Yencesse
1954 : premier grand prix de Rome
1955-1950 : pensionnaire de la Villa Médicis à Rome.
1960-1975 : expose à la galerie Bernier à Paris
1972 : devient directeur artistique de Baccarat
1986 : médaille d’or au Salon des artistes français
1988 : grand prix de sculpture au salon des artistes français
1989 : prix de la Marine nationale
2005 : correspondant de l’Institut de France, académie des Beaux-Arts, 2015 : exposition exclusive à Châtillon-sur-Seine (21)
1er juin 2023 : décède à Chalon-sur-Saône (71)
Ce qu’il fera bien des années plus tard, à son retour dans les années 60 : « Ça m’a pris deux ans au prix d’un travail quotidien : sculpteur le matin, maçon l’après-midi. » Comme son père, Robert n’a jamais eu envie de quitter ses cailloux. « Je me contente de peu : un arc, trois flèches, un lit de camp… et je peux me débrouiller seul. » Il faut dire que l’artiste aime la solitude de la nature sauvage et le silence des pierres. Un contemplatif qui sait passer à l’action quand il le faut, mais trie ses invités sur le volet. César, Ricet Barrier, les Frères Jacques… les copains qui partagent son intimité son rares. Et encore plus ceux qui ont eu un jour l’occasion de pénétrer à l’intérieur de la tour pour découvrir sa bibliothèque et sa collection de tableaux. Ici, Robert est tout entier tourné vers son art : maquettes en hiver dans l’atelier, sculpture en plein air en été, et réflexion permanente sur le sens de sa création.
Dans la pièce principale de la maisonnette qui jouxte la tour, Robert Rigot a entreposé pêle-mêle tout un échantillonnage de sa carrière, une bonne vingtaine de pièces qui résument en quelque sorte sa production sur une cinquantaine d’années. « Au total, j’ai dû monter plus de 500 expositions à travers le monde entier, alors je n’ai plus trop envie d’en faire. Là, c’est ma collection personnelle, une sorte d’exposition permanente des pièces que je préfère, pour les conserver dans de bonnes conditions et les montrer aux amis de passage, mais surtout parce que j’aime bien vivre avec elles, les sentir à côté de moi au quotidien. »
Devant son Arlequin, l’artiste se souvient des heures dorées de sa jeunesse romaine : « Je l’ai réalisé en hommage à l’auteur italien Luigi Pirandello, dont les ouvrages ont constitués mes premières lectures quand j’étais à Rome, dans une petite chambre nichée au-dessus de la bibliothèque, avec une vue imprenable sur la ville… »
La nature comme interlocutrice
Sur le coin d’un bureau, une chemise de dossiers de contentieux déborde… Autant d’œuvres exposées dans l’espace public qui ont été volées, dégradées ou simplement mal entretenues. Un état de fait qui révolte l’artiste, toujours prêt à se battre pour que ses « enfants » traversent le temps sans encombres. Il faut dire qu’avec plus de 30 commandes de l’Etat, en particulier dans le cadre du « 1 % » dédié à l’art contemporain dans la création architecturale publique, Robert Rigot fait partie du paysage urbain, à Dijon notamment (lire encadré ci-dessous).
« La nature est devenue l’interlocuteur de Robert Rigot, écrit la célèbre critique d’art Lydia Harambourg, dans un dialogue avec la matière où l’espace et la lumière le portent à créer un bestiaire aux formes lyriques et une humanité d’expression classique, dont le mouvement est intégré à la plénitude du volume. Une sculpture organique née du matériau élu. […] Au final, oiseau, fourmi ou sauterelle s’imposent à partir d’un libre jeu de lignes constructrices déployées dans l’espace, de plans parcellés de vides par lesquels la lumière traverse les volumes, les animant d’une vibration particulière. Pour Robert Rigot, la sculpture porte son interrogation et sa réponse sur le mystère de la nature.»
Une démarche intellectuelle qui n’empêche pas l’expression de la sensualité de l’artiste, ce dernier ayant su mettre son art au service des lieux publics ou le décliner à travers de multiples objets sans jamais tomber dans la vulgarité commerciale. Ainsi, pendant plus de 25 ans, Robert Rigot a été le directeur artistique et le créateur officiel des cristalleries de Baccarat (« Là, on n’est plus tout seul, la paye de 1 200 personnes dépendait de mon travail ! »), sans oublier la création de bijoux pour Cartier, de médailles pour des célébrités ou encore d’une « montre des cosmonautes » pour la Nasa… Sur la terre comme dans les airs, notre ermite bourguignon sait voyager loin.
Par Geoffroy Morhain – Photos : Jean-Luc Petit
Publié dans Bourgogne Magazine n°49 (juin-juillet 2016)
À Dijon, Le Rêve ailé en hommage à Eiffel
En Bourgogne, la sculpture la plus connue de Robert Rigot est certainement Le Rêve ailé, qui a été installée en 1981 sur le port du canal à Dijon, quai Nicolas Rolin, près de l’obélisque. Il s’agit au départ d’une commande de la Ville, qui souhaitait ainsi rendre hommage au Dijonnais Gustave Eiffel, né à deux pas de là. Une volonté clairement exprimée par l’inscription sur la plaque posée au sol : « À Gustave Eiffel, Dijon 1832-Paris 1923, son premier regard d’enfant s’ouvrit sur ce port. »
Fixé à l’extrémité d’une poutrelle métallique Creusot-Loire, Le Rêve ailé – censé pointer vers l’emplacement de maison natale d’Eiffel – a une forme d’oiseau qui prend son envol à une hauteur de 8 mètres et sur une longueur 16 mètres. Comble de poésie, des petits trous tapissant la structure creuse du corps du volatile, dépassent des brindilles qui trahissent la présence d’un nid à l’intérieur même de l’oiseau métallique.
Devenue familière aux passants, cette œuvre parle au plus grand nombre, de par sa simplicité forte, sa grâce naturelle et son mouvement. Pour preuve, ce poème aérien de Monique Lannes, une admiratrice de l’artiste devenue son amie, membre active de l’association Eiffel né à Dijon.