Le week-end gourmand du Chat Perché célèbre chaque année le goût et la joie de vivre à Dole dans le Jura. L’invité d’honneur de cette nouvelle édition programmée les 30 septembre, 1er et 2 octobre, est Joigny. Ce qui ne doit rien au hasard. Marcel Aymé, dont les Contes du Chat Perché ont inspiré l’événement, est né dans la ville de l’Yonne, avant de retrouver ses racines familiales dans le Jura. On ne pouvait donc pas faire l’économie d’un éclairage sur ce grand et atypique écrivain.
Joigny, Marcel Aymé n’a pas eu le temps de construire beaucoup de souvenirs. Il y est né le 29 mars 1902, c’est déjà ça, mais n’y reste que deux ans à peine. Son maréchal-ferrant de père s’occupe alors des chevaux du régiment de dragons, avant de rejoindre le 8e régiment à Tours. Mais la disparition de sa mère, en 1904, fait éclater la fratrie composée de six enfants. Le petit Marcel revient sur les terres d’origine de la famille.
Avec Suzanne, son aînée de deux ans, la plus jeune de ses sœurs, ils rejoignent leurs grands-parents maternels dans le Jura. Auguste et Françoise Monamy exploitent une tuilerie, une ferme et un moulin à Villers-Robert. Marcel apprend le français dans l’école de ce tout petit village. Le patois y est de pratique courante. Cette atmosphère sera une grande inspiration pour ses Contes du chat perché, qui feront plus tard le bonheur des collégiens français.
L’écrivain des cinéastes
La suite est doloise. Recueilli par sa tante Léa, une mercière, Marcel fait son entrée en 7e, en pension au collège de l’Arc. Puis ce sera le bac latin-sciences-mathématiques en 1919 et une année en « Math spé » au lycée bisontin Victor-Hugo. L’immense écrivain et poète franc-comtois nourrit ses lectures du soir. D’autres auteurs se succèdent sur la table de chevet de l’étudiant : Jules Verne, Tolstoï, Balzac, Zola, Villon, Baudelaire, Musset… Une santé fragile met toutefois un terme à ses études. Un bref mais peu concluant passage par la fac de médecine à Paris, où il se voit comme « un petit provincial cornichon pas plus doué pour les lettres que ne l’étaient alors les dix mille garçons de (s)on âge » l’en écarte définitivement.
L’épilepsie et la syphilis l’obligent même à revenir à Dole, en 1925, où il entame la rédaction de Brûlebois. L’ouvrage est publié l’année suivante aux Cahiers de France. Un véritable écrivain voit donc le jour dans la capitale jurassienne. Un écrivain déconcertant de talent, hors conventions, qui pose les bases de son œuvre en Franche-Comté avec Aller-retour (1927), La table aux crevés (1929), La rue sans nom (1930, Prix Renaudot) ou encore La jument verte (1933), son grand best-seller. Le cinéma et le théâtre s’ouvrent à lui. Son écriture voyage entre le français, le patois et l’argot. Son don de l’observation est prodigieux. Marcel Aymé réunit les qualités pour devenir (ce qu’il sera), l’un des auteurs les plus adaptés au cinéma, à la télé ou sur les planches. Les monstres sacrés du grand écran lui doivent certains de leurs plus grands rôles. Fréhel, Bourvil, Fernandel, Noiret, Jade, Depardieu… un casting à couper le souffle.
Fantastique et lucide
Ironique, imprévisible, inclassable, Marcel Aymé voyage avec ironie et lucidité dans les méandres de la société. Faisant équipe un jour avec le réalisateur marxiste Louis Daquin, il publie un autre jour une nouvelle dans les journaux collaborationnistes Je suis Partout et La Gerbe, tout en se permettant de se moquer ouvertement du régime nazi. Blâmé d’un côté, admiré de l’autre, l’ami fidèle de Brasillach et Céline refuse la Légion d’Honneur en 1949. Puis propose en retour, à celles et ceux qui veulent la lui décerner, de « se la carrer dans le train, comme aussi leurs plaisirs élyséens ». Dont acte.
Sa description crue de la France des années 40 dérange. L’excellent Uranus (1948) dit tout de ces contradictions aussi ubuesques que délicates qui agitent la campagne de l’après-guerre. Entre les bons et les méchants, il n’y a pas de ligne de démarcation. L’écrivain décrit le noir et le blanc, l’avidité et l’esprit de camaraderie avec la même fraîcheur et un vocabulaire tout sauf académique. Il dépeint l’âme tout simplement.
Marcel Aymé a aussi le sens du fantastique. Dans l’adaptation de son Passe Muraille, Bourvil fait merveille, glissé dans la peau de ce dérangeant Monsieur Dutilleul, un « excellent homme qui possède le don singulier de passer à travers les murs sans être incommodé », mais cède aux sirènes de l’utilisation malhonnête dudit don. Il y a aussi cette poésie fantastique que l’on retrouve dans La belle image, Derrière chez Martin ou encore La Cocu Nombreux. Quant à La Vouivre, cet ouvrage considéré comme son dernier roman du cycle jurassien, il se dit qu’on la voit de temps en temps au marché de Dole, habillée comme une fée, son diadème sur la tête, un nœud de vipères dans le panier au cas où, errant à la recherche du courageux Arsène Muselier. Peut-être la croiserons-nous dans les rues de la ville, au milieu d’une foule gourmande et festive.