En Bresse, on ne rigole ni avec la tradition paysanne ni avec la qualité de la volaille. Chaque année en décembre, les Glorieuses de Bresse rendent ainsi hommage à l’excellence de la filière à travers des concours de volailles fines. Ainsi, le samedi 16 décembre, la salle de la Grenette à Louhans se remplira dès potron-minet de ce que l’appellation fait de mieux en matière de poulets, poulardes et autres chapons. Avec des médailles à la clé, puis un marché où le public pourra profiter de ces volailles d’exception. Plongée dans les allées…
5 heures du matin en ce samedi d’avant Noël. Louhans est encore plongée dans le noir et le froid alors que les premiers éleveurs débarquent à la salle de la Grenette pour mettre en place leurs « bêtes à concours » par lots de 4 ou 6 : chapons, poulardes, poulets et autres dindes AOP qu’il faut déballer, décorseter, coiffer, positionner au centimètre près dans un alignement digne d’un défilé militaire. À 7 heures, la ferveur de la préparation retombe. Tout est prêt pour l’arrivée des membres du jury, une cohorte d’une cinquantaine d’« initiés » intransigeants – restaurateurs, professionnels de la filière, anciens éleveurs, etc – qui vont se répartir dans les allées, à raison de trois ou quatre par catégorie. Sans précipitation, chaque lot va passer au crible d’une inspection visuelle « sous toutes les coutures » : présentation et homogénéité du lot, couleur, grain de peau, état d’engraissement, œil clair, emmaillotage (le sujet doit être bien serré, ailes et pattes enfouies dans la graisse)… Ici, la moindre griffure est vite éliminatoire.
À la poursuite du vase de Sèvres
Le samedi 16 décembre, Louhans se rassemblera une fois encore autour de ses fameuses Glorieuses de Bresse. Comme chaque année depuis la création en 1862 de ce concours de volailles fines, également organisé dans trois cités bressanes de l’Ain (à Montrevel-en-Bresse le 12 décembre, Bourg-en-Bresse le 15 décembre et Pont-de-Vaux le 17 décembre 2023).
Comme chaque année depuis son installation en 1992, l’éleveur Christophe Vuillot basé à Saint-Etienne-du-Bois sera fidèle au rendez-vous : « Je trouve qu’à Louhans le concours est plus chaleureux, avec une ambiance plus authentique. Toute la ville est mobilisée derrière l’événement. Pour moi, c’est la récompense d’une année de travail, la reconnaissance par toute une filière d’un parcours au service de l’excellence. » Et d’espérer ramener chez lui, comme il l’avait fait l’an dernier, un vase bleu de Sèvres, récompense suprême attribuée par le président de la République au grand prix d’honneur de la catégorie reine des chapons. Avec, en prime, la fierté d’avoir une de ses championnes cuisinée à l’Elysée pour le repas du réveillon !
Pour autant, tous les éleveurs ne sont pas prêts à jouer le jeu, tant ce type de compétition est aussi chronophage qu’énergivore. Finition typiquement bressane, le « roulage » est une phase délicate qui nécessite patience et tour de main. Après avoir vidé et plumé la volaille à la main, cette technique traditionnelle consiste à l’emmailloter dans une toile fine cousue comme un corset afin de permettre à la graisse de pénétrer dans les chairs. Comme le savoir-faire a tendance à se perdre, certains éleveurs font appel aux anciens pour leur donner un coup de main à la veille des fêtes. Pour Christophe Vuillot, qui l’a appris de son grand-père, cette technique fait partie intégrante de son métier d’éleveur et participe à l’exception de la volaille de Bresse : « La pérennité de notre filière passe par la transmission de ces savoir-faire de génération en génération. S’ils ont la volonté de le faire, les jeunes pourront toujours trouver quelqu’un auprès de qui apprendre… ».
Après le concours des Glorieuses de Bresse, le marché
Si les Glorieuses de Bresse de Louhans ont conservé l’esprit des concours agricoles d’antan, c’est aussi parce que leur organisation est toujours aux mains d’une société d’agriculture. Tandis que leurs cousines de l’Ain dépendent désormais d’un comité de foire ou d’une communauté de communes. Autre singularité du concours louhannais, sa volonté de récompenser la nouvelle génération : « Nous avons instauré une catégorie Espoirs afin de tirer notre production vers le haut, et de permettre aux jeune éleveurs de profiter d’une certaine émulation au contact des plus expérimentés. Ce serait dommage que nos anciens emportent leurs connaissances au cimetière ! », s’amuse Jean-Paul Treboz, président de la Société d’agriculture de Louhans.
Revenons au déroulement de nos Glorieuses. Vers 11 heures, après le verdict du jury et une visite guidée de la salle ouverte à tous (réservations auprès de l’office de tourisme), place aux petites emplettes ! Car oui, les Glorieuses sont avant tout des marchés extraordinaires où le public peut se balader dans les allées, admirer des volailles d’exception, et échanger avec les éleveurs identifiés par leur survestes rouges ou noires. Chacun peut acheter bien-sûr, discute et tendre l’oreille pour capter le pouls du petit monde de l’élevage traditionnel. À midi, on s’attablera au grand mâchon à base de volailles de Bresse organisé au palace Pierre Provence (réservation à l’office de tourisme), avant de profiter des stands de produits locaux et des animations disséminées dans les rues du centre-ville. Pour finir, vers 15h30, par la remise des prix en grandes pompes devant un aéropage d’officiels et de notable locaux. Comme au bon vieux temps des comices agricoles !
La confrérie des Poulardiers de Bresse au rendez-vous
Exceptionnellement, les Glorieuses de Louhans coïncideront cette année avec un chapitre de la confrérie des Poulardiers de Bresse, ambassadrice dévouée de la volaille de Bresse à travers le monde. « La confrérie regroupe une vingtaine de membres du Grand Conseil et quelque 4 000 personnes intronisées à travers le monde depuis sa création en 1962, détaille Rémi Gauthier, président de l’association et grand chancelier de la confrérie. Notre vocation est de faire la promotion de la volaille de Bresse AOP sur des événements nationaux comme le Sirha à Lyon, le Salon de l’agriculture à Paris, la Percée du vin jaune dans le Jura, ou encore sur le Marché international de Rungis. » Pour cet agent immobilier qui sillonne la campagne des trois Bresse (de l’Ain, du Jura et de Saône-et-Loire) depuis 25 ans, le poulet est « bien plus qu’une simple volaille, c’est une culture, un bocage, un art de vivre ». Le dimanche 17 décembre, au lendemain des Glorieuses de Bresse, un des deux chapitres annuels de la confrérie se tiendra au palace Pierre Provence à Louhans, avec l’intronisation de 20 nouveaux « poulardiers » le matin (cérémonie publique), puis un grand repas de gala rassemblant près de 300 convives. « Une quarantaine de demandes d’intronisation sont encore en attente, nous sommes victimes de notre succès », estime le président, qui projette la tenue d’un troisième chapitre en mars en Bresse jurassienne, en plus de ceux qui se tiennent déjà en juin chez Georges Blanc à Vonnas, et en décembre à Louhans.