Gourmets et cordons bleus en reviennent le panier plein de projets pour la cuisine. Les halles, patrimoine vivant de la ville parmi tous, sont en pleine mutation, portées par le vent des confinements et du circuit local. Bienvenue dans le « ventre » de Dijon.
C’est un samedi de fin d’automne, un brouillard persistant s’accroche aux façades, qu’un soleil timide tente de disperser. Il règne un froid de gueux dans les ruelles du centre-ville dijonnais. Pourtant, les silhouettes pressées semblent se multiplier, alors que le promeneur s’approche des halles. Même un peu anesthésié par une température frigorifique, le cœur de la ville palpite ici. Et depuis longtemps ! Sous l’ancien régime, c’est au sein de l’église des Jacobins, qui se tenait à l’emplacement actuel des halles, que les Dijonnais se réunissaient pour l’élection du maire. La politique a conservé sa place, mais elle se discute autour d’un blanc limé ou d’un café dans un des nombreux troquets historiques du quartier. Sur les étals, l’heure est plutôt aux vannes amicales, que Laurent Brullebaut destine à ses meilleurs clients. « Alors, Josiane, on s’est faite toute belle aujourd’hui ? », lance-t-il en direction d’une septuagénaire habituée, qui en glousse de plaisir.
Fier maraîcher, le gaillard est planqué sous une tignasse drue. Sur son étal, rien que de saison, et local. La terre collante d’Arc-sur-Tille n’a pas eu le temps de sécher sur ses panais ultra-frais. C’est l’une des fiertés des halles dijonnaises que d’attirer les meilleurs maraîchers de plaine de Saône, et, globalement, d’être le rendez-vous des gourmets locaux attirés par une offre d’exception. Sophie Greenbaum, présidente de l’Association des commerçants et des artisans des halles de Dijon (ACAHD) dirige la fromagerie Au Gas Normand. Elle ne dit pas autre chose : « La base de l’attractivité non démentie du marché de Dijon c’est que les gens savent qu’ils y trouveront une offre très large de produits de qualité. » Et comment : bouchers, charcutiers, maraîchers, fromagers, vendeurs de fruits, poissonniers, traiteurs… On trouve de tout sous les halles, y compris de l’exotisme : dattes et safran iraniens, épices rares, cuisine marocaine ou asiatique. Et même une vanille d’exception, proposée par Chantale Tsarazara, qui va la chercher directement à Madagascar.
Nouveaux venus aux halles de Dijon
Deux confinements n’ont pas eu raison de l’attractivité des halles, mais l’alerte a été chaude durant les derniers jours de mars. Le marché n’a jamais fermé, grâce à l’action volontaire de la municipalité qui a négocié avec la Préfecture. « En le condamnant, l’offre alimentaire en hypercentre aurait été insuffisante », argumente l’adjointe au commerce Nadjoua Belhadef. Mais le marché affichait alors un visage inquiétant. Déserté par son public habituel, délaissé par quelques commerçants, il exhibait des allées vides, loin de l’agitation frénétique qui le caractérise d’ordinaire. « Les gens avaient peur de cette maladie inconnue. Heureusement, les choses se sont améliorées et le second confinement n’a pas eu un impact aussi fort que le premier », tempère la présidente. C’est peu dire : les premiers marchés de novembre, lors du second confinement, ont fait le plein, ou le trop-plein. La jauge a été limitée juste à temps, alors que la foule commençait à inquiéter même les plus intrépides des vendeurs.
L’attractivité des halles dijonnaises se mesure également à la forte demande d’installation lorsqu’un stand vient à se libérer, et à l’évolution régulière des produits proposés. « Ces dernières années, le marché accueille de nouveaux venus, souvent des traiteurs, qui correspondent à la demande de produits prêts à consommer de qualité », analyse Sophie Greenbaum. La Maison Ramel vient de Dole pour vendre ses plats cuisinés. Le traiteur Colombo a débarqué récemment, et l’équipe de l’Auberge de la Charme se prépare à ouvrir son propre espace traiteur. Les demandes d’installation sont constantes. Un stand sur le marché, ça paie. « Sur mes trois demi-journées de marché, je réalise la moitié du chiffre d’affaires de la boucherie, qui est installée quartier Greuze », témoigne Eric Leturger, qui possède une boutique permanente (Sel des Moulins) et loue un stand sous les halles de Dijon. « Mon stand me fait connaitre également : plusieurs clients sont revenus à la boutique après m’avoir découvert sur le marché. Nous étions voisins et ils ne le savaient pas », note le boucher converti au bio depuis quelques mois.
Rénovation espérée
Tout n’est pas rose pour autant sous les arcades métalliques du « ventre de Dijon ». Édifiées entre 1873 et 1875, sur les plans de l’architecte de la ville, Ballard — ne pas confondre avec Baltar, le concepteur des halles parisiennes — les halles dijonnaises accusent le poids des ans et attendent une rénovation en profondeur, promise par la municipalité. « La dernière rénovation date de plus d’une vingtaine d’années, mais pour le moment aucun projet n’a été mis sur la table. Il faut au minimum mettre les halles aux normes sanitaires », estime la présidente de l’association, qui regroupe 45 commerçants du marché, soit environ 70% des effectifs. Il faut aussi revoir aussi le système de chauffage au gaz, très peu efficace et fort peu écologique. Un défi de plus à relever pour un marché qui en a vu d’autres !