Le président de l’interprofession des vins de Bourgogne (BIVB) analyse avec confiance la situation locale. La générosité des derniers millésimes et le positionnement de nos vins sont des atouts qui, selon Louis-Fabrice Latour, « font de la Bourgogne la région viticole française qui a le moins souffert ». À consommer avec prudence et humilité malgré tout, car il faut aussi « réapprendre à être commerçants » !
La vigne a-t-elle été menacée par la crise sanitaire ? Pas vraiment. D’abord, elle s’en fout, du coronavirus. Elle pousse, sans autre préoccupation que celle d’une amante entretenue. Et jamais, avant ce millésime 2020, le vigneron, libéré par un commerce en berne, n’a eu autant de disponibilité pour la choyer. Beaucoup en ont témoigné. Les artisans du vignoble, intimement liés à leur terroir, se sont éclatés dans un contexte étrange où la nature a repris ses droits, heureux de revenir librement et sans contraintes à leurs premières amours.
Le bon équilibre
La solidité financière de la Bourgogne viticole joue beaucoup aussi dans cette capacité à traverser la tempête. « Elle est sans doute la région la moins touchée de France dans notre secteur. Nous sortons d’une année prospère et nous avons dans nos caves deux années de stock en moyenne, ce qui est un bon équilibre », s’enthousiasme Louis-Fabrice Latour, président du BIVB aux côtés de François Labet. Freinés par des problèmes d’exportation et le gel de la restauration, certains domaines connaissent cependant des tensions de trésorerie. Avec le soutien des dispositifs exceptionnels mis en place (prêts garantis par l’État notamment), peu de situations catastrophiques ont toutefois été enregistrées.
Ce constat tranche vertement avec le secteur touristique (et donc œnotouristique), laminé par les effets du confinement. Il rassure en même temps. Le vin demeure en Bourgogne une solide locomotive économique que le monde entier nous envie. Ici, le vignoble est un producteur marginal en volume à l’échelle de la planète, mais il est le plus coté de tous. La Champagne voisine, dont le positionnement est plus « commercial », semble plus atteinte. Mais ce grand terroir sait rebondir.
L’art d’être commerçant selon Louis-Fabrice Latour
Le millésime à venir promet d’être généreux, dans tous les sens du terme. « Pour autant, nous ne devons jamais tomber dans l’arrogance, ne pas nous concentrer uniquement sur les appellations les plus en vue, et nous souvenir que la moitié de notre production est constituée d’appellations régionales », souligne le boss de la maison beaunoise Louis Latour. Négociant de métier, il sait bien ce que cela signifie, face à une nouvelle équation des marchés truffée d’inconnues.
Le bourgogne a aujourd’hui une stature assumée de produit haut de gamme. Surtout quand on flirte avec ses grands crus. Mais la filière dans son ensemble doit renouer avec les siens, retrouver « l’art d’être commerçant ». Figure de proue de cette volonté de développer l’accueil sur nos terres, le trio des Cités des vins de Beaune, Chablis et Mâcon révèle le lien pédagogique que le monde du vin veut créer, tant avec des visiteurs venus du bout du monde qu’avec une population tentée désormais de voyager dans la proximité.
« La réussite de ce projet est totalement indispensable », conclut le représentant du BIVB, qui veut pousser le bouchon du lien territorial jusqu’à « soutenir la restauration locale » ravagée par le Covid-19, avec des mesures pragmatiques. Il se dit que sur 100 consommateurs américains de vin de Bourgogne, un seul viendra un jour ou l’autre chez nous. C’est déjà ça. Mais le vin de Bourgogne, pour garder son rang de seigneur dans le monde, doit aussi être compris des Bourguignons qui, au bout du compte, en seront les éternels prescripteurs toutes périodes (et toutes crises) confondues.
Cuisiniers dans les vignes
Louis-Fabrice Latour s’étonne lui-même de cette magie qui opère autour du vin par chez nous. « Pendant le confinement, on a vu beaucoup de cuisiniers et de sommeliers, défaits de leur outil de travail et de leurs clients, venir en renfort des vignerons pour se frotter au travail au vert. » Alors que la France criait au secours pour trouver de la main d’œuvre printanière, les vignes bourguignonnes ont agi comme un appel du cœur et du vert auprès des professionnels de l’hôtellerie et de la restauration.
Quand viendra le temps des vendanges, très tôt cette année, les étudiants auront eux-mêmes tout loisir de boucler leur été entre deux rangs de pinot noir ou de chardonnay. Les marchés reprendront leurs droits. « 2020 avait plutôt bien commencé, dans la continuité des années précédentes, rappelle l’interprofession. Le vin étant un produit alimentaire, le négoce s’en est ensuite sorti à moindre mal grâce aux ventes “off-trade” (ndlr, dans les commerces de détail). » À la faveur de nectars peu chers vendus en gros volumes toutefois : sur le début de l’année 2020, si la consommation n’a baissé que de 1,8 % en volume, elle a chuté de 8 % en chiffre d’affaires. Les professionnels estiment que cette année se terminera par une baisse globale oscillant entre 10 et 20 % en valeur. On a connu pire, en 2009 par exemple, « avec la crainte cependant que cette crise, moins violente maintenant, soit plus durable dans
le temps ».
En attendant, les domaines ont investi dans le gel hydroalcoolique. Le BIVB les accompagne dans la réouverture des caveaux de dégustation en leur offrant une première fournée de crachoirs individuels, cédant les exemplaires suivants à prix coûtant. 900 caves sont potentiellement visitables en Bourgogne (l’interprofession réactualise sur son site une liste des caveaux ouverts). Depuis début juin, 350 d’entre elles ont communiqué, via le BIVB, sur la mise en place de normes sanitaires adaptées à leur activité. Le signe que, dès cet été, on sera sur le pont pour accueillir les amateurs de crus bourguignons. Cela tombe bien, il est grand temps de déconfiner nos bouchons.
Article extrait de Bourgogne Magazine n°65 (en kiosque)