À la marge du prochain salon des maires de Côte d’Or (14-15 décembre), Ludovic Rochette, président de l’association des Maires de France de Côte-d’Or (AMF 21) et maire de Brognon depuis ses 26 ans, brosse le portrait d’une mission qui évolue entre engagement et lassitude. Les maires ont le blues, mais ils chantent encore !
Maire des villes, maire des campagnes, même combat ?
Ludovic Rochette : Nous comptons 698 communes en Côte-d’Or. La plus petite, Les Goulles (ndlr, limitrophe de la Haute-Marne), compte 12 habitants, la plus peuplée, Dijon en héberge plus de 150 000. On est, bien sûr, face à des réalités différentes, même si le cadre de la loi est le même. Les responsabilités de maire dans les 35 000 communes de France sont les mêmes. Les enjeux sont différents, le niveau d’ingénierie dont ils disposent aussi. Il y a une base identique en termes d’organisation, de loi et de responsabilité, mais la vie de la commune dépend de nombreux facteurs dont l’intercommunalité et les transferts de compétence. Chaque strate rencontre des difficultés. Mais être maire n’est pas plus ou moins difficile selon la taille des communes.
Spécifiquement sur les maires de campagnes, alors que les responsabilités et les compétences augmentent, comment permettre l’accès à l’expertise sur des questions complexes comme l’urbanisme, l’environnement, etc. ?
Je suis maire depuis 25 ans, toujours élu à Brognon. Le mandat de maire devient de plus en plus complexe et risque, de ce fait, de se professionnaliser. Être maire nécessite de la formation – c’est le rôle des associations d’élus – mais aussi de l’ingénierie. Où la trouver ? Le maire dispose de plusieurs leviers. Au niveau de l’État, il y a l’ANCT (Agence Nationale de Cohésion des Territoires). Souvent, il peut trouver de l’aide auprès d’autres collectivités territoriales, comme le Département. Nous avons la chance de disposer d’une agence d’ingénierie au sein du département de la Côte-d’Or, que les maires peuvent solliciter.
Quid de l’intercommunalité ?
C’est le principal soutien. Ce regroupement de plusieurs communes au sein d’un établissement public, qui gère certaines compétences transférées par les mairies, est d’abord au service des communes. Il n’a pas pour but d’effacer les communes, comme peuvent le craindre certains maires, mais de les supporter. Dans mon intercommunalité, par exemple, nous disposons d’un agent volontaire territorial en administration, qui travaille pour la communauté de communes, mais aussi directement pour les communes dans le domaine du ZAN (zéro artificialisation nette). Une intercommunalité intelligente n’oublie pas qu’elle se base sur les communes, en leur offrant des services. Pour réussir, il faut trouver un équilibre entre l’échelon intercommunalité et celui de la commune.
Les grandes questions du moment sont la transition écologique, la gestion de l’eau et des déchets. Les maires sont-ils armés pour faire face ?
Sur ces sujets, il y a deux types d’échéances, à court terme et à plus long terme. L’échéance immédiate, c’est 2026, car la loi prévoit la prise des compétences eau et assainissement par les intercommunalités. On a aujourd’hui un gros travail d’organisation pour prendre ces compétences de manière intelligente, en économisant la ressource en eau et en préservant sa qualité. À côté de ça, d’un point de vue environnemental, l’ensemble des collectivités travaille à la rénovation énergétique des bâtiments, pour économiser l’énergie et l’espace. C’est un enjeu fondamental aujourd’hui, les collectivités qui ont les moyens vont bénéficier d’aides multiples.
Et dès maintenant ?
Aujourd’hui, dans le cadre de la transition, il n’y a jamais eu autant de moyens financiers mis sur la table en termes d’investissement. La limite, c’est que les communes les plus fragiles n’ont pas les moyens, humains le plus souvent, de solliciter ces aides. L’enjeu est donc d’assurer que toutes puissent œuvrer dans le cadre de cette transition écologique. Cela nécessite une réforme des collectivités et de la fiscalité locales. L’objectif est d’assurer aux communes d’avoir les moyens financiers, humains, juridiques pour fonctionner et investir. Dans notre jargon, c’est ce qu’on appelle la péréquation. C’est en ce sens qu’une réforme des collectivités doit se faire, notamment pour la transition écologique. Regardez la gestion de l’éclairage public. Toutes les communes ont eu des actions : passage aux ampoules LED, éclairage à la demande… À Brognon, nous serons bientôt à 100 % en éclairage LED. D’autres, qui ont moins de moyens, limitent les horaires d’éclairage. En tout cas il y a 10 ans, les maires n’avaient pas cette perspective d’économie d’énergie sur l’éclairage public.
De nombreux maires ont été contraints d’augmenter la taxe foncière, au grand dam des habitants. L’État affirme pourtant avoir compensé la suppression de la taxe d’habitation. Est-ce que cela recoupe la réalité de terrain, notamment dans le contexte d’inflation que l’on connait ?
Il y a la question fondamentale du lien fiscal entre la collectivité et ses habitants. En supprimant la taxe d’habitation, l’État l’a cassé. Il reste la taxe foncière, mais elle est très différente. C’est un lien entre la commune et le propriétaire, non pas l’habitant. Notre système fiscal est à bout. Sûrement que les habitants sont contents de ne plus payer la taxe d’habitation. Mais pour les collectivités, c’est compliqué à gérer. La question de la Dotation Globale de Fonctionnement (DGF) est un peu différente. En règle générale, on ne connait plus de baisse globale de DGF, mais d’une commune à l’autre, il peut y avoir des baisses spécifiques. Saint-Apollinaire a, par exemple, une DGF à zéro. La commune ne touche rien.
Quel rôle a l’AMF sur ce sujet ?
L’Association des Maires de France demande l’indexation de la DGF sur l’inflation. Il faut néanmoins avouer que, si nous nous insurgeons contre l’évolution de la DGF, il est très compliqué de la réformer. Ces dotations doivent rester compréhensibles. Aujourd’hui, plus personne ne les comprend très bien. Cela peut induire un sentiment d’injustice. Auparavant, il y avait des exonérations de taxe d’habitation pour les personnes les plus vulnérables. Nous devons, État et collectivités, réfléchir à un système qui permette l’autonomie financière des collectivités et un impôt local qui soit juste et qui rétablisse le lien entre l’habitant et la commune. Plus la commune a tendance à avoir une population pauvre, moins il y a de propriétaires. Dans le cadre du vivre ensemble, avec la collectivité et le maire, l’élu préféré des Français, nous devons solidifier ce lien.
84 maires de Bourgogne ont démissionné en 2023. Comment expliquer cette lassitude ?
Nous atteignons bientôt la cinquantaine de démissionnaires en Côte-d’Or, beaucoup plus que lors des mandats précédents. Les mandats sont de plus en plus exigeants et complexes, avec une partie minime des administrés compliquée à gérer. Une petite fraction devient violente, c’est un vrai problème. Nous avons formé 150 maires de Côte-d’Or avec les négociateurs du GIGN… Rendez-vous compte, nous en sommes là ! Il y a aussi un élément très conjoncturel : en 2020, les maires ont été élus dans un cadre sanitaire qui n’a pas permis qu’on les épaule comme on le fait normalement. Au sein de l’AMF, nous avons organisé des formations en distantiel, mais cela n’a pas le même impact. De fait, ce mandat est compliqué et un élu qui reste isolé peut très vite se décourager. J’ai pris la décision d’aller voir les maires individuellement. J’en vois 5 à 10 par semaine, pour voir comment les aider.
Il y a tout de même la force d’une corporation, visible notamment au 24e salon des maires de Côte-d’Or, les 14 et 15 décembre prochains…
Oui, ne nous limitons pas à ce constat de difficultés. De très nombreux maires s’épanouissent dans leur mandat. Être maire, c’est pour beaucoup une vraie satisfaction, celle d’œuvrer à l’intérêt général des habitants et de la commune. Au salon des maires de Côte-d’Or, j’ai plus de 200 maires inscrits à l’assemblée générale, ils sont motivés.
Les candidats sont donc toujours bien là ?
De tout temps, j’ai entendu des questionnements sur le nombre de candidats potentiels. C’est la première fois depuis 25 ans que je m’interroge sur le fait de savoir si, partout, nous aurons encore des candidats animés par l’esprit de la commune, par l’engagement pour les autres. C’est un enjeu fondamental pour 2026, qui doit être un vrai rendez-vous municipal, après le rendez-vous tronqué des dernières élections pendant la crise sanitaire.
La question de la violence contre les élus a pris une actualité particulière dans le département, avec l’agression et le jugement des agresseurs des maires d’Ouges et Chilly-les-Maranges.
Cela révèle plusieurs choses. La difficulté, d’abord, d’exercer une autorité sans en avoir forcément les moyens. Auparavant, on disait du maire qu’il était l’élu à portée de baffes. Cela ne me fait plus sourire. L’AMF 21 peut se porter partie civile pour aider les cas les plus graves. Vous mentionnez le jugement dans l’affaire de l’agression de Jean-Claude Girard, le maire d’Ouges. Je retiens deux choses dans ce jugement : les peines très lourdes requises par le procureur, largement suivies par le juge. J’y vois un message fort adressé aux agresseurs et un vrai soutien aux maires. Ensuite, dans ce jugement, il a été reconnu que l’image de la commune avait été touchée. La commune a reçu l’euro symbolique de réparation. Là aussi c’est un message fort. Toucher un maire, c’est s’attaquer à un représentant de la République, mais aussi à une communauté à taille humaine. C’est la difficulté et la noblesse de ce mandat.
La justice est donc attentive à la situation des maires…
Elle nous a donné des signes encourageants. Quant aux causes, je ne suis pas sociologue, mais le mot maire, sans vouloir faire l’ancien, n’est plus vraiment aujourd’hui associé au respect. Quand je croisais le maire, gamin, j’avais du respect. Et quand il nous sermonnait, on n’était pas très fier… Aujourd’hui, c’est un autre temps, la société a évolué. Le paradoxe, c’est que le maire est l’élu plébiscité par la population, mais il fait face à une frange infime de sa population qui s’en prend à l’autorité. Il en va de même pour les gendarmes, pompiers, soignants… En amont, il faut former les élus, et en aval cela ne peut passer que par des peines très fermes.
Quel est votre pire souvenir de maire ?
Un souvenir dramatique, gravé à vie. J’étais maire depuis 15 jours en 1998. Un motard s’est tué sur ma commune. Il a fallu, sur demande de la gendarmerie, que j’annonce la terrible nouvelle aux parents du motard qui n’habitaient pas la commune. À 26 ans, c’est quelque chose qui vous marque pour toujours. C’était un moment réellement dur en tant qu’élu.
Et votre meilleur souvenir ?
J’en ai un paquet. Peut-être le souvenir le plus drôle, c’est… Imaginez, Brognon, un petit village, avec sa petite place. Un couple de Hollandais arrive sur la place, avec sa caravane. Ils ne parlent ni français ni anglais. Et moi je ne parle pas le néerlandais. Après pas mal d’incompréhension, je finis par comprendre qu’ils cherchent le camping. Problème : il n’y a pas de camping à Brognon. La discussion reprend, le conducteur est très surpris, il est sûr qu’il y a un camping, d’ailleurs il a réservé. Finalement, nous finissons par comprendre : parti de Rotterdam, il devait aller à Brognon dans les Ardennes. Il fallait qu’il rebrousse chemin et fasse 300 km en direction de la Hollande. C’était un joli souvenir, qui me fait encore sourire. Depuis, j’ai croisé assez peu de Hollandais sur la place de Brognon et j’avoue que je n’ai guère progressé dans cette langue…