Le redressement judiciaire est souvent perçu à tort comme la fin de vie d’une entreprise. Il est au contraire l’outil de la nouvelle chance. Ce nouveau numéro dédié à la résilience nous touche au premier chef* chez DBM et DijonBeaune.fr. Il débute, une fois n’est pas coutume, par le témoignage d’un « redressé » parti au combat, Dominique Prudent…
Une entreprise est composée d’individus œuvrant dans un même projet. Grosse ou petite, multinationale ou minuscule TPE, le cœur de cette « personne morale » bat au rythme du business. Sa vitalité dépend des aléas du marché et des événements qui l’impactent. Une maladie peut donc l’atteindre, un accident la rendre invalide. Vivre, prospérer, survivre ou mourir : tel est son destin.
La société doit veiller sur elle. Le tribunal de commerce agit alors comme un hôpital. Premier symptôme d’un dysfonctionnement profond : une trésorerie tendue. Cette poussée de fièvre mérite d’être analysée en temps réel. Mais avec prudence, car certaines activités sont bénéficiaires et sous financées, d’autres ont de la réserve dans les caisses et dissimulent des pertes. En toute circonstance, lorsqu’il ne peut plus honorer ses échéances, le chef d’entreprise a l’obligation de déclarer une cessation de paiement. À défaut, sa responsabilité est engagée. Il aura, lui et personne d’autre, à en répondre devant la justice.
La démarche est traumatisante. Déjà parce qu’elle draine en elle un sentiment d’échec. En France, fâcheuse manie, on regarde avec suspicion celui ou celle qui entreprend, on stigmatise ses sorties de route, on le blâme. Et lorsqu’il sollicite une mise sous protection judiciaire, le patron se sent coupable. Il sait qu’on ne lui fera pas de cadeau.
Un plan et s’y tenir
Six ans après avoir placé son groupe en « RJ », l’inarrêtable Dominique Prudent, 63 ans, vit courageusement ce traumatisme. Ce guerrier de l’économie s’est lancé dans le transport frigorifique au début des années 80. Créateur des Nuits bressanes (et bientôt des Nuits jurassiennes), fondateur d’une crèche pour enfants polyglottes, il est aussi un fou de glisse qui a initié au ski des enfants de stars. Julien Clerc, Johnny Hallyday et autres Florent Pagny, reconnaissants, sont ainsi devenus ses amis et ont visité Louhans. Sans « Drodro », tout le monde s’accorde à dire que la vie locale ne serait plus la même.
Il n’empêche. En 2017, le groupe E.Leclerc internalise ses entrepôts. « Nous avions été prévenus », reconnaît Dominique Prudent, mais cette décision fait perdre plus de la moitié du chiffre d’affaires d’un groupe qui emploie 750 personnes, soit 27 millions d’euros. Le choc est violent. « Tu en prends plein la gueule, tu n’as pas d’autre choix que d’aller devant le tribunal. » Accompagné de son conseil KPMG, il découvre à Dijon l’impressionnante salle des délibérations en même temps qu’il rencontre « le président du tribunal Jérôme Prince et une équipe de gens extraordinaires ». Sans le RJ, assure-t-il, l’entreprise qui porte son nom ne serait plus de ce monde. Et les emplois qui en dépendent non plus. Il n’y a pas de baguette magique pour autant. Le redressement « permet de garder de la tréso et passer un cap difficile, mais si tu ne prépares pas, si tu n’as pas un plan ou une proposition qui tient la route, tu ne tiens pas longtemps ! »
Aller au combat
Débute aussitôt le grand théâtre des comportements. Banquiers et fournisseurs réagissent chacun à leur façon. Certains t’aident, d’autres font semblant ou te fuient. « Au début tu te sens mal, puis un peu mieux au fur et à mesure que tu rembourses tes arriérés », raconte Dominique Prudent, dont le passif a été logiquement lissé sur dix ans. Le « RJ » est donc un observatoire privilégié des intentions. « En cas de guerre, je sais que j’irais dans le maquis, mais je n’en veux à personne » ironise un entrepreneur ému une nouvelle fois d’être tombé « des fournisseurs et des clients compréhensifs, un personnel combattif et une administration fiscale et sociale ouverte au dialogue en Saône-et-Loire ».
Six ans après le séisme, il se dit « béni du ciel, même si rien n’est définitivement acquis, loin de là ». Les transports Dominique Prudent ont conservé 300 emplois. Ils ont traversé le Covid, les crises en Ukraine et au Moyen-Orient, l’inflation. « On n’est pas riches, mais on paie ce qu’on doit, on a regagné la confiance de nos fournisseurs et on se construit différemment », poursuit le patron. Reprenant le titre d’une chanson de son copain Pagny, il place au-dessus de toute autre considération sa « liberté de penser », cette liberté qui, sans doute, est indissociable de la liberté de créer. Avec, sur le chemin de la résilience, des rencontres « qui nous encouragent à être encore au combat ».
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* Avis à nos lecteurs : StudioMag, société éditrice de DBM, DijonBeaune.fr et de plusieurs autres médias, est elle-même en redressement judiciaire depuis le début du mois de mars. Covid, doublement du prix du papier et double accident cardiaque de son gérant-fondateur (l’auteur de ces lignes) : les événements ont conduit à cette mise en RJ qui donne une chance à notre groupe et à sa quinzaine de collaborateurs de poursuivre une grande aventure née il y a près de 30 ans. Vous êtes nombreux à nous soutenir et vous en remercions chaleureusement !