Après deux mandats très sportifs, David Butet passe la main, comme l’exigent les statuts du Medef Côte-d’Or. Des gilets jaunes aux projets de demain, en passant par de nombreuses réformes nécessaires, le président a joué toutes les balles. Interview sur le « court » économique du monde d’après… qui sera audacieux ou ne sera pas !
Gilets jaunes, Covid, Ukraine et crise énergétique… vous avez vécu deux mandats de torture. Vive la quille ?
David Butet : « Je ne dirais pas deux mandats de torture, bien qu’ils fussent éprouvants et denses. J’ai beaucoup appris et je me suis constitué un réseau très qualifié. Je suis à la fois heureux de céder ma place et inquiet du vide que cela va générer dans mon agenda. Je n’ai pas compté mes heures de bénévolat au service du Medef, plus de 600 par an…
En 2024, le tribunal de commerce plie sous l’assaut des demandes de redressements et de liquidations judiciaires. Un mal passager ou le signe d’une décadence ?
Nous sommes en train de vivre une période très particulière et assez difficile à analyser. Si nous constatons le « rattrapage » des liquidations qui auraient dû se tenir avant le covid, nous avons aussi certains secteurs particulièrement touchés (immobilier, bâtiment…), qui ne peuvent plus être soutenus par l’État, faute de moyens. Les modèles économiques changent fortement (auto électrique, prix de l’énergie, réindustrialisation, etc), et les investissements numériques et climatiques sont indispensables à la survie de ces modèles, au même moment.
Les troupes entrepreneuriales avancent toujours. Mais leur moral, où en est-il ?
L’entrepreneur est avant tout un résilient. Il est en permanence contraint de s’adapter à l’environnement et surtout à des décisions qu’il ne maîtrise pas : climat, lois, règlementations, guerres… L’accumulation des crises depuis la pandémie met à l’épreuve le moral des chefs d’entreprises. Comme beaucoup, je suis fatigué par la période que nous avons traversée, avec le sentiment de ne pas pouvoir me reposer de sitôt. Mais, chaque matin, je retrouve néanmoins mon enthousiasme naturel.
Le Medef prend un peu de poids. 30 % d’adhérents en plus selon vos chiffres. Le résultat d’une stratégie maison ou d’un état d’urgence chez les chefs d’entreprise ?
Effectivement, nous avons gagné 30 % d’adhérents supplémentaires nets sur les six ans qui viennent de s’écouler. Sans doute que la conjoncture difficile a aidé à cela, car le besoin de collectif s’est fait ressentir. Je pense aussi que la vision de notre CA, qui était de ne pas aller chercher des adhérents mais que ces derniers se rendent compte de l’intérêt à nous rejoindre, a payé. Nos adhérents représentent aujourd’hui près de 66 000 salariés sur les 141 000 que compte le secteur privé en Côte-d’Or. Nos poids et influence sont donc là.
Le Medef a comptabilisé les heures que ses membres actifs lui donnent. Puis les a portées au bilan. Pourquoi cette sacralisation du bénévolat ?
J’ai voulu valoriser le bénévolat au sein de notre organisation, comme cela se fait dans beaucoup d’ONG. Sans le temps bénévole de nos mandataires, le Medef n’existerait pas ou peu. Nous avons mis deux ans à faire certifier par notre commissaire aux comptes les temps passés et déclarés par nos 330 mandataires. Alors que tous n’ont pas répondu, nous avons tout de même valorisé 7 269 heures, qui représentent près de 400 000 euros à notre bilan 2023. Un beau témoignage, grâce au conseil d’administration, de l’influence du Medef Côte-d’Or.
Handijob vous tient à cœur. Quel argument majeur donnez-vous à un patron pour qu’il considère le handicap comme un véritable avantage dans son entreprise ?
J’ai vécu en colocation, pendant quelques années, avec un de mes meilleurs amis, handicapé physique lourd. J’ai donc pu mesurer la responsabilité sociétale que nous avons, nous, chefs d’entreprises, pour permettre au plus grand nombre des personnes handicapées, de pouvoir exercer un métier. Le format Handijob me tient effectivement à cœur. Il nécessite une préparation de près d’un an afin d’identifier les personnes en situation de handicap et les entreprises qui pourraient les recruter. Les résultats sont là : plus de 600 entretiens sur ces six dernières années, une soixantaine d’embauches réalisées. Nous sommes donc sur une moyenne de 10 % d’entrées en entreprise après le Handijob.
Un comité féminin a été mis en place au sein du Medef. Pourquoi devons-nous encore, en 2024, donner une place à part aux femmes ?
Le Comité Femmes du Medef a vu le jour en juin 2023 en Côte-d’Or. Il s’est largement inspiré du modèle national. En 2024, il me semble encore nécessaire (malheureusement ?) de permettre aux femmes chefs d’entreprises, ou à celles qui ont envie de le devenir, de se réunir régulièrement, pour évoquer leur quotidien. J’ai constaté une sororité bienveillante et nécessaire à la réalisation de parcours. Mais, j’insiste sur un point que nous avons tout de suite convenu avec Carole Girard, la première présidente de ce comité : les hommes sont les bienvenus !
Et les pouvoirs publics dans tout ça ? Sont-ils à la hauteur des attentes ?
Le covid nous a permis, au Medef, de nous rapprocher comme jamais auparavant des collectivités territoriales et de l’État. Si les relations sont bonnes et régulières, avec notamment un comité de gouvernance économique au sein de la Métropole, et des réunions régulières avec les services de l’État (Ursaff, Carsat, DRFIP, etc.), elles s’avèrent complexes voire inexistantes avec le Conseil régional, qui a pourtant la compétence économique dans son périmètre. D’ailleurs, l’agence de développement économique (AER) de la Région ne compte aucun chef d’entreprise dans son conseil d’administration : une hérésie que nous dénonçons depuis des années. Nous devons retrouver du bon sens mais pour cela, il faudra sans doute changer d’élus.
On dit que l’avenir appartient aux plus jeunes. Le Medef Côte-d’Or va dans les écoles, les classes de 4e en particulier. Vous avez donc bon espoir que les générations suivantes auront les yeux doux pour les entrepreneurs ?
Nous n’avons de cesse de travailler sur le rapprochement entre l’école et l’entreprise. Nous avons d’ailleurs démontré notre implication en recrutant massivement des apprentis sur ces dernières années. Parmi les opérations qui portent leurs fruits, il y a effectivement les conventions que nous signons régulièrement entre une entreprise, un collège (proche) et le Medef pour favoriser les échanges. Nous manquons cruellement d’éducation économique dans notre système. Le niveau de la 4e nous semble pertinent pour libérer des potentiels et déclencher des vocations. C’est d’ailleurs un niveau pour lequel œuvre Entreprendre pour Apprendre, que nous soutenons, et qui propose la création de mini-entreprises sur une année scolaire.
Moins jeunes que les collégiens, mais jeunes quand même, les moins de 40 ans détiennent les rênes du Comex du Medef Côte-d’Or. Ils ne vont quand même pas tuer leurs pères ?
Geoffroy Roux de Bézieux a eu l’idée de créer un Comex40, à côté de son Comex national, pour l’interpeler sur des sujets sociétaux et de prospective. En nous inspirant de cela, j’ai souhaité la création d’un Comex40 Côte-d’Or. Ce dernier a décidé de se saisir de nos statuts pour les revoir. Les propositions présentées à notre CA ont été retenues, nous allons changer nos statuts lors de notre AG. Faire confiance à la jeunesse nous pousse dans nos retranchements et nous aide, dès maintenant, à construire le monde qui sera le sien. Cela permet en même temps à nos organisations d’attirer des entrepreneurs qui ne seraient jamais venus nous voir autrement. Il faut entretenir l’engagement pour le bien commun.
Et vous alors ? Après tant d’heures données, à tout juste 47 ans, qu’allez-vous faire ? Quitter complètement le Medef Côte-d’Or ?
Je reste au conseil d’administration du Medef Côte-d’Or, auquel je suis adhérent depuis 2008. J’ai une histoire personnelle trop liée à ce syndicat. Je suis convaincu qu’il faut être dans les organisations pour les faire évoluer. Je vais aussi continuer à siéger au bureau de la commission Entrepreneuriat du Medef national, comme me l’avait demandé Patrick Martin. Mais il est essentiel de passer la main, afin de ne pas créer de baronnie sur nos territoires. Enfin, je vais récupérer des heures que je saurai mettre à profit pour ma famille et mes entreprises.
Il se dit que vous allez œuvrer auprès de Jean-Philippe Girard pour la mise en place d’un événement fort sur le thème de l’audace d’entreprendre, en octobre, au Zénith de Dijon…
J’ai en effet été nommé commissaire général de L’Audace d’Entreprendre par Jean-Philippe Girard, qui a pris la présidence de l’association du même nom. Nous partageons, avec Jean-Philippe, la conviction qu’il faut répandre au plus grand nombre de personnes, de 10 à 70 ans, l’enthousiasme et l’énergie d’entreprendre. Notre premier événement se tiendra le 1er octobre, au Zénith de Dijon. Il fédérera toutes les organisations qui œuvrent au quotidien pour entreprendre, reprendre, rebondir. Nous avons obtenu pour cela le haut patronage de l’Élysée. Le président Emmanuel Macron inaugurera cet événement. Notre ambition est que chaque visiteur ressorte avec son profil d’entrepreneur. »