Pionnier de la neuroendocrinologie, Roger Guillemin est décédé le 21 février dernier à l’âge de 100 ans. Citoyen américain made in Dijon, le prix Nobel de médecine 1977 aura laissé à l’humanité un immense héritage scientifique.
500 000 cerveaux de mouton lyophilisés, peut-être plus. C’est en prélevant inlassablement des fragments cérébraux d’origine animale qu’un jeune professeur français exilé aux États-Unis parvient, en 1955, à isoler un milligramme d’une hormone produite par l’hypothalamus. C’est la découverte du complexe hypotalamo-hypophysaire.
Ces expériences très sophistiquées ont défriché de nouveaux territoires pour une meilleure compréhension des relations entre le cerveau et le système endocrinien. Toute sa vie, le professeur Roger Guillemin n’aura cessé de voyager, de chercher, de comprendre et d’expliquer.
Cela a bien failli le tuer. En 1952, lui et trois jeunes collègues de laboratoire contractent une tuberculose auprès d’animaux. Lui seul en réchappera, après une méningite soignée de justesse grâce à la découverte d’un antibiotique, la streptomycine.
Fils de mécanicien né à Dijon le 11 janvier 1924, étudiant au lycée Carnot, Roger Guillemin débute ses études de médecines en 1942, interrompues par la guerre et une existence maquisarde à Besançon. Après la libération, il devient brièvement généraliste à Saint-Seine-l’Abbaye. Sa rencontre lors d’une conférence avec Hans Selye, premier scientifique a avoir étudié le stress comme phénomène biologique, lui fait traverser l’Atlantique. Un voyage décisif.
Citoyen américain et chevalier du Tastevin
Aux États-Unis, Roger Guillemin devient un éminent spécialiste de neuroendocrinologie, au sein du prestigieux Salk Institute de San Diego (Californie), sorte de Silicon Valley des biotechnologies. Il partage le prix Nobel de médecine 1977 avec Andrew Schally et Rosalyn Yalow pour leurs découverte du rôle du cerveau dans la régulation des hormones.
Citoyen américain dès 1965, il demeure très attaché à sa Bourgogne natale, en grand amateur d’œnologie et éminent chevalier du Tastevin. Animé par les sciences et les arts, il se mettra dès les années 80 aux créations picturales sur ordinateur, un impressionnisme abstrait qu’il partageait avec son fils artiste François Guillemin, alias Le Corbeau.
Il fut un maitre absolu pour des générations de scientifiques dans le monde, à l’instar du professeur dijonnais Luc Rochette. Même à la fin de sa vie, Roger Guillemin « maintenait des heures de bureau régulières au Salk Institute, continuant à offrir son temps et son expérience à toute personne susceptible de solliciter son conseil », précisait-on au moment de célébrer son centenaire.
Roger Guillemin est mort le 21 février 2024, dans une maison de retraite de San Diego (en Californie), à l’âge de 100 ans, comme son infirmière d’épouse Lucienne trois ans plus tôt. Son héritage a été salué partout, des médias locaux à la presse spécialisée en passant par le New York Times et le Washington Post.
En 2015, la France avait reconnu sa contribution à la science en le nommant commandeur de la Légion d’honneur. La faculté de médecine de Dijon a honoré sa mémoire en donnant son nom à sa bibliothèque universitaire. À ce jour, le seul prix Nobel dijonnais n’a pourtant pas de rue à son nom.