Importatrice pionnière des vins de Bourgogne aux États-Unis dans les années 80, découvreuse de génies du terroir à l’image d’Henri Jayer, Martine Saunier a été rappelée à Bacchus dimanche 9 février, à l’âge de 91 ans.

Ils seront quelques uns, d’un bout à l’autre de l’Atlantique, à lever un verre de pinot noir en sa mémoire. Martine Saunier s’est éteinte ce dimanche 9 février, à 91 ans, en Californie où elle vivait depuis 1964. Elle était de ces âmes pionnières du vin, une incroyable femme de commerce et d’instinct, la première à avoir révélé quelques grands noms de la Bourgogne aux États-Unis.
Née le 17 janvier 1934 à Paris, la jeune Martine fait la rencontre décisive de la vigne et du vin à Prissé, dans le Mâconnais. Sa tante y tient une petite ferme, où elle passe ses étés et trouve refuge en zone libre durant la guerre. Ce sera ensuite l’appel de Londres et l’apprentissage de l’anglais comme fille au pair, puis Paris chez la British Airways et les relations publiques du consulat tunisien, avant le mariage en 1964 avec un radiologue originaire de San Francisco, avec qui elle s’installera entre les séquoias de la luxuriante Mill Valley.
Découvreuse des vignerons-paysans
C’est sur la côte ouest que son talent pour les gens et le commerce est repéré en 1969 par Chrissa Imports, spécialiste de l’import-export de vins et spiritueux. Le cabernet de Californie la passionne. Elle rencontre le pape des vins californiens André Tchelistcheff, qui l’encourage à cultiver ses amitiés entre Bourgogne et États-Unis et trouve en elle les qualités d’une ambassadrice du pinot noir.
Dans son style à la fois musclé et dinstingué, Martine fait le pont entre ces deux cultures. Elle devient la confidente des vignerons et des chefs des deux pays, arpente inlassablement la petite France viticole lors de pèlerinages annuels dont elle a le secret, parfait ses grande connaissances de la viticulture. À l’époque où le commerce des vins européens est écrasé par les grandes maisons de négoce et les marques mondialisées, elle agit comme une pionnière dans l’émergence de petits producteurs français, ces vignerons-paysans qui n’avaient pas encore la réputation de stars. Becky Wasserman, autre grande dame du vin, suivra son sillage dans les années 80, faisant le voyage inverse des États-Unis à la Bourgogne.
Henri Jayer dès les années 70
Au début des années 70, bien conseillée par le vigneron de Chassagne-Montrachet Paul Pillot, Martine Saunier est l’une des premières à découvrir le génie d’Henri Jayer, dont elle devient l’amie et l’importatrice exclusive. « Il avait des caisses entières de 1972, abandonnées par un importateur anglais découragé par la mauvaise réputation du millésime », se plaisait-elle à raconter, habitée plus tard par le goût d’un vosne-romanée Cros Parantoux 1978. Parfait inconnu chez l’Oncle Sam, le vigneron de Vosne-Romanée pu faire voyager ses vins outre-Atlantique grâce à elle, avant même la création de Martine’s Wines en 1979.
Le catalogue de l’importatrice intègre alors très tôt les grands noms d’aujourd’hui : Leroy, Denis Mortet, Bruno Clavelier, Morey-Coffinet, jusqu’à Château Rayas (Chateauneuf-du-Pape). Tous intègrent les plus beaux restaurants du pays, tous louent le savoir-faire de celle que l’on appelle simplement « Martine », y compris ses confrères concurrents comme Kermit Lynch.
Retraitée depuis 2012
Professionnelle éminemment respectée, à la tête d’une entreprise prospère malgré les crises, Martine Saunier avait transmis son entreprise en 2012 à deux professionnels de confiance, Greg Castells et Kate Laughlin. À la même époque, elle avait produit A Year in Burgundy (2013), documentaire de référence pour les winelovers américains, réalisé par David Kennard, montrant le quotidien de sept familles vigneronnes de Bourgogne.
Ses quelque 90 printemps n’avaient en rien altéré son goût de la vie. Cette fière chevalier du Tastevin était restée active dans la communauté du vin et de la haute gastronomie, notamment à travers la sous-commanderie californienne de la confrérie bachique. Cette bâtisseuse laisse une empreinte tout à son image, à la fois discrète et incontournable, dans les relations entre Bourgogne et États-Unis.