En se basant sur des entretiens avec Armand Simonnot, membre important de la Résistance dans le Morvan et garde du corps du dirigeant communiste Charles Tillon, Jean-Yves Boursier, professeur en anthropologie, livre une étude fouillée, documentée et inédite sur une portion d’histoire, s’attachant particulièrement à démonter, au travers du destin de son témoin, la façon dont se bâtissent les mythologies collectives officielles.
Le maquis Vauban dans la neige en février 1944.
Par Emmanuelle de Jesus et Antoine Gavory / Agence Proscriptum
Photo : Musée de la Résistance en Morvan
Passionnant et exigeant: ainsi pourrait-on qualifier le travail de Jean-Yves Boursier. Evitant la facilité du simple recueil d’entretiens, ou les faiblesses de la fiction s’appuyant sur des faits historiques (au risque d’ailleurs d’empiler les erreurs et d’en enrayer toute crédibilité), cet universitaire spécialiste en anthropologie se base au contraire sur un corpus inédit – des entretiens avec une figure de la Résistance dans le Morvan, Armand Simonnot – pour livrer une étude qui, dépassant le destin individuel, trace le portrait d’une époque avec un point de vue original: celui de la déconstruction de l’histoire officielle.
Qui était Armand Simonnot, né en 1908, mort en 1984? Bûcheron, charpentier, il fut le premier FTP (franc-tireur partisan) enregistré dans l’Yonne, commandant (élu) du maquis Vauban, le plus important de la région autour de Saint-Léger-Vauban. Garde du corps de Charles Tillon – principal dirigeant des FTP et membre du bureau politique du PCF –, les responsabilités auxquelles avait accédé Armand Simonnot lui ont valu la visite de plusieurs chercheurs ainsi que le souligne Jean-Yves Boursier dans sa préface.
C’était aussi un homme d’une éthique sans faille, qui n’avait pas renié ses engagements au Parti communiste, sans pour autant en être un serviteur aveugle: lorsque Charles Tillon sera exclu du Parti au terme d’un procès inique, Armand Simonnot le suivra en exil et restera à ses côtés pendant des années… un destin extraordinaire, pour un homme qui jusqu’au bout, demeurera modeste et éloigné des tentations du pouvoir.
Mythologies collectives
Mais, et c’est là l’autre intérêt de ce livre, Jean-Yves Boursier ne s’arrête pas à ce destin: il trace en cheminant à ses côtés le portrait de plusieurs décennies en s’attachant à démonter comment s’écrit l’histoire, en se moquant des faits s’ils viennent buter contre la construction des mythologies collectives. Dieu sait que la nation, dans sa volonté de réconciliation et d’oubli, aura travesti la réalité de la France durant la Deuxième Guerre mondiale et dans la période de l’après-guerre: il s’en est trouvé, des thuriféraires d’un peuple français arc-bouté contre l’occupant allemand, pour inventer le mythe d’une Résistance unanime. Souscrire à ce mensonge consolateur, non dépourvu d’arrière-pensées politiques, c’est oublier que les raisons de l’engagement de ces patriotes ne furent pas uniformes. C’est oublier qu’ils n’avaient pas tous les mêmes espoirs pour l’après-guerre, ni les mêmes aspirations ou les mêmes utopies. Et c’est là la réussite de ce livre: en s’attachant au destin d’un homme, sans tomber dans l’anecdote mais au contraire comme symptôme d’une époque, Jean-Yves Boursier en saisit toutes les subtilités.
*Armand Simonnot, bûcheron du Morvan – Communisme, Résistance, Maquis, de Jean-Yves Boursier, éditions de L’Harmattan, 302 p, 32 euros.