Pénuries, augmentation des prix, hausse de la culture locale… Luc Vandermaesen, président de l’association Moutarde de Bourgogne qui regroupe l’essentiel des producteurs et industriels de la filière, fait le point.
Trouver un pot de moutarde relève parfois encore du parcours du combattant. Pouvez-vous nous rappeler les causes de cette pénurie ?
Il y a plusieurs facteurs. D’abord, la production bourguignonne de graines de moutarde a été divisée par trois entre 2017 et 2021, passant de 12 000 à 4 000 tonnes. Cette baisse est due à de mauvaises conditions climatiques, notamment à un important épisode de gel en avril 2021. Les producteurs bourguignons font également face à des attaques d’insectes contre lesquelles ils sont impuissants depuis l’interdiction de certains pesticides.
Mais les producteurs de Moutarde de Dijon ne se fournissent pas uniquement en Bourgogne…
En effet, la récolte bourguignonne est remontée à 6 000 tonnes en 2022. Mais cela reste trop faible pour répondre à notre besoin annuel de graines, estimé à 35 000 à 40 000 tonnes. Cet été, tous les voyants sont au vert pour atteindre une très belle récolte de 15 000 tonnes. Mais il restera donc plus de 20 000 tonnes de graines à se procurer. Pour cela, nous nous fournissons au Canada, le premier producteur mondial.
Le Canada n’est-il pas impacté par le changement climatique ?
Malheureusement, personne n’y échappe. En 2021, le Canada a subi un dôme de chaleur qui a directement impacté sa récolte, soit seulement 50 000 tonnes produites, un volume historiquement bas. Bien qu’il en ait récolté deux fois plus en 2022, il n’a pas baissé ses tarifs et spécule sur le prix de la graine. Les prix ont été multipliés par 4 en deux ans !
De quoi revoir notre dépendance canadienne ?
Notre objectif est de soutenir la filière locale et d’augmenter nos achats locaux. Pour cela, le prix d’achat de la tonne de graines a été fortement revalorisé (ndlr, 2000 euros la tonne en 2023 contre 900 en 2021), et la filière présente l’avantage de garantir un prix de vente longtemps à l’avance aux agriculteurs, alors même que les autres cultures suivront les aléas du marché. Grâce à cela, nous sommes donc passés de 160 cultivateurs à plus de 500 en deux ans. C’est une très bonne progression. En revanche, je ne suis pas favorable à mettre tous mes œufs dans le même panier car, actuellement, nous n’avons pas suffisamment de stocks de sécurité en Bourgogne.
N’est-il pas envisageable de se fournir ailleurs qu’au Canada ? En Ukraine par exemple ?
Si, c’est envisageable. Mais c’est compliqué en ce moment puisque les zones de culture de la graine brune (brassica juncea) sont principalement situées dans le Donbass, qui est occupé par les troupes russes. Il y a des recherches dans d’autres zones d’Ukraine, mais cela risque de ne pas être concret immédiatement.
Et alors, quand verrons-nous la fin de ces tensions ?
J’ose espérer qu’avec la prochaine récolte, nous en sortirons d’ici fin 2023. Nous avons la chance que, même en en ayant augmenté nos prix par la force des choses (ndlr, jusqu’à +50% pour certaines gammes de la marque Reine de Dijon), on sent que le consommateur est toujours autant attaché à la moutarde.
L’Association Moutarde de Bourgogne, c’est quoi ?
Dans les années 1990, agriculteurs et fabricants de moutarde se sont associés pour relancer cette culture traditionnelle et créer l’Association Moutarde de Bourgogne (AMB). Cette association loi de 1901 regroupe en son sein l’Association des Producteurs de Graines de Moutarde de Bourgogne (APGMB), cinq industriels moutardiers (dont les quatre bourguignons : Amora Maille, Européenne de Condiments, Reine de Dijon et Fallot), les Organismes Stockeurs (OS), l’Institut Agro Dijon (ex-AgroSup Dijon) et la Chambre d’Agriculture de Côte-d’Or.
Les principales préoccupations de l’association sont la recherche d’une diversification des sources d’approvisionnement, la nécessité de mieux maîtriser la qualité de la production et la valorisation de cette qualité.
L’AMB est notamment en lien avec Agro Dijon dans le cadre de recherches de nouvelles variétés de moutarde plus productives et de meilleure qualité : « Il y a tous les ans de nouvelles variétés plus intéressantes, et qui répondent de mieux en mieux à la fois aux besoins des agriculteurs et aux exigences des industriels.«