Dans le monde d’avant, Nicolas Isnard et David Le Comte exportaient leurs talents en Thaïlande tout en assurant à domicile la réputation de leurs établissements. Dans le monde d’après, les chefs étoilés de la Charme revoient leur copie, ouvrant leur capital pour un nouveau modèle économique. Décryptage d’une étoile gourmande à cinq branches.
La cuisine est une chose, le positionnement du business en est une autre. Dans le monde d’avant, Nicolas Isnard et David Le Comte, l’inséparable duo de chefs de la Charme, avaient un joli carnet de route. Nico le voyageur multipliait les missions de consulting en Thaïlande et ailleurs. « On devait ouvrir cinq tables en Asie et au Moyen-Orient », confie le plus volubile des deux.
Le sens de l’organisation de David permettait alors d’assurer la production entre le restaurant gastronomique de Prenois, le Bistrot des Halles en plein cœur de Dijon et l’activité traiteur de Kook’in. Le tout avec la bénédiction du Michelin, qui n’a jamais remis en question, à juste titre, l’étoile décrochée par le tandem, depuis leur arrivée en terres bourguignonnes. C’était il y a 14 ans.
Puis il y a eu ce que vous savez. De quoi être déboussolé. « Je passais six mois à l’étranger et tout à coup, je ne pouvais plus sortir de chez moi », résume Nicolas. Ça bouillonnait plein pot sous la marmite du cuisinier voyageur. Ainsi est venue l’idée du Food’Charme. Un foodtruck garni de plats finement pensés dans les ateliers du traiteur Kook’in à Norges, avec des desserts signés par le grand chocolatier Pascal Caffet ainsi qu’une petite proposition d’épicerie fine. Malin, efficace, soigné.
Food’Charme, la bonne idée
Ces temps propices à l’épanouissement des foodtrucks ont été d’autant plus profitables que le Food’Charme, porté par l’évocation étoilée de son nom et la qualité de ses propositions, est très vite devenu une cible des gourmands du midi. Les offres très accessibles n’y sont pas étrangères : 9,90 euros pour un Poké bowl végétarien, 20,90 euros pour un plateau repas bourguignon, 18,70 euros pour la version retour du marché… pourquoi s’en priver ? Sans oublier cette inspiration fusion, entre Asie et Orient le plus souvent, caractéristique de la maison. Le camion a été pris d’assaut avant d’être rapidement dédoublé. Sur le parking de la Maison des entreprises comme dans les communes de l’agglomération et jusqu’au marché dominical de Gevrey-Chambertin, on suit les deux Food’Charme à la trace.
Dans ce monde d’après, David et Nicolas ont aussi décidé de ne plus ouvrir leur établissement phare à Prenois l’été. La gastronomie fait moins recette en saison chaude, le personnel qualifié se fait rare dans ce secteur, et il vaut mieux préserver des marges plus sûres comme avec le rentable Bistrot des Halles. En même temps, cela met de l’huile dans les ressources humaines. La disponibilité du personnel de la Charme apporte de la sérénité. Elle profite aux autres établissements et facilite la gestion des plannings, surtout de nos jours.
Une holding, cinq filiales
La résilience est donc multiple. Nicolas par exemple, sans pour autant s’interdire de renouer avec les destinations lointaines, s’investit dans des opérations de consulting sur le sol national. La demande est là. Depuis l’été 2021, un « petit » nouveau, le Bistrot de Norges, complète désormais le dispositif en place, signant du même coup l’entrée de Jean-Philippe Girard dans la planète Charme. Le fondateur d’Eurogerm a transmis son entreprise avec le succès que l’on sait. Président de Dijon Bourgogne Invest, la nouvelle agence d’attractivité de la Métropole (lire notre entretien dans DBM n°93), il s’est aussi donné mission d’accompagner à titre personnel des projets avec ses propres capacités d’investissement.
Le dossier du Golf de Norges lui est d’autant plus naturel qu’il est le propriétaire du foncier et des murs. Denis Liébé exploite le golf depuis longtemps, mais il fallait trouver une solution pour la partie restauration. Nos deux chefs cochent les bonnes cases. « On en parlait depuis longtemps, raconte Nicolas Isnard. Il fallait juste trouver une solution homogène dans notre structuration financière. » Autrement dit, pas question d’avoir un associé sur une seule partie de l’échiquier. Le raisonnement économique, surtout au regard des achats et de leur centralisation chez Kook’in, ne peut être que transversal.
Le nouvel investisseur a donc directement rejoint Nicolas Isnard et David Le Comte, dans le capital d’une holding qui supervise les cinq facettes de l’écosystème. Ce dernier est porté sur un plan opérationnel par les deux chefs et Cécile Sagory, historiquement associée à l’aventure et à l’exploitation du restaurant gastronomique.
Une nouvelle ère commence. D’autres projets sont au menu. Un bel établissement à Dijon ? Une plage dans le sud ? De nouvelles aventures au bout de la planète ? Une deuxième étoile ? Qui sait ? On n’arrête pas une machine comme celle-là. Les cuisiniers de la Charme aiment en effet autant le business que jouer du piano. À croire que l’appétit vient en faisant manger les autres.
La preuve par cinq
Le ciel étoilé de la Charme se décline en cinq branches pour autant d’exploitations distinctes. Soit une holding et cinq filiales pour un CA global supérieur à 4 millions d’euros et une cinquantaine de collaborateurs. Évaluation chiffrée non définitive mais indicative.
• Auberge de la Charme. Établissement historique ouvert en 2008 à Prenois, étoilé dès les débuts, fermé désormais l’été. 700 000 euros de CA, 15 salariés, ticket moyen entre 110 et 120 euros.
• Bistrot des Halles. Le plus rentable. 1 million d’euros de CA, 12 salariés, ticket moyen entre 30 et 35 euros.
• Le Bistrot de Norges (restaurant du golf). 500 000 euros de chiffre d’affaires (prévisionnel), 8 salariés, ticket moyen entre 30 et 35 euros.
• Kook’in Traiteur. 1,5 million d’euros de CA, 12 salariés + extras, budget moyen entre 150 et 200 euros.
• Food’Charme (2 foodtrucks). 350 000 euros de CA, 5 salariés, ticket moyen de 18 euros.