Le lundi suivant la Vente des vins des Hospices de Beaune, la Paulée de Meursault clôture les Trois Glorieuses qui sont célébrées chaque troisième week-end de novembre. Plus qu’un moment de ripaille, l’événement, associé à un prix littéraire depuis 1932, porte en lui tout un art de vivre à la bourguignonne.
Pour Bourgogne Magazine n°64
Par Patrick Lebas
Unique, mythique, inoubliable, inoxydable, idyllique, éthylique parfois… les adjectifs ne suffisent pas pour qualifier la paulée de Meursault. Cet événement annuel s’est imposé comme le rendez-vous bachique le plus réputé dans le monde. Le plus imité aussi, de New York à Singapour, en passant par la Côte chalonnaise ou encore Dijon.
« Mais il n’y a qu’une Paulée, celle de Meursault », s’enthousiasme Jean-Luc Fouquerand, du domaine des Petits Champs Lins. Nombreuses sont les personnalités à partager l’avis du vigneron murisaltien. Et pas n’importe lesquelles. Car en ce troisième lundi de novembre, le château de Meursault attire fins palais, artistes et célébrités du monde entier, bref, l’intelligentsia du vin. Le lieu devient alors, le temps d’une après-midi automnale, la capitale du monde du vin, chardonnay en tête s’il vous plaît.
L’écrivain Philippe Claudel, lauréat littéraire du Prix de la Paulée 2017, emprunte cette pertinente maxime à sa grand-mère : « Bien vaine est la vie pour qui la vit sans vin. Et combien il meurt sot, celui qui la passe sans Meursault. » Si l’appellation beaunoise grise de ses grands blancs aux arômes de noisette, elle inspire aussi beaucoup. Et ce depuis 1932, date à laquelle cette « modeste » fête de vignerons devient un banquet bachique, alors servi au restaurant Le Chevreuil à Meursault. « À cette époque, Gaston Gérard et le comte Jules Lafon créent un prix littéraire, indique Philippe Ballot, le président de l’Association pour la promotion de Meursault (APPM) qui organise notamment la paulée. Nous étions dans une période de crise, il fallait trouver des idées pour faire rayonner le village et ses vignerons. » Le romancier Charles Sylvestre sera le premier auteur à recevoir les 100 bouteilles de Meursault promises au lauréat. 76 autres lui succéderont, parmi lesquels Colette (1951), Hervé Bazin (1969), Jean d’Ormesson (1979), Régine Desforges (2006), Amélie Nothomb (2010) ou encore Michel Serres (2013).
« Niagara de vins »
Cette paulée-là n’est plus tout à fait le modeste repas de fin de vendanges traditionnellement offert par le propriétaire aux ouvriers viticoles. Elle « déforme cette pratique » pour en faire un banquet mondain et mondial où déferlent ce que Jean-Robert Pitte, secrétaire de l’Académie des sciences morales et président de la Mission française du patrimoine et des cultures alimentaires, appelle « un Niagara de vins ». « Je crois bien n’en avoir jamais autant bu de ma vie, car étant placé à la table d’honneur, beaucoup de vignerons amis ou inconnus de moi sont venus me faire goûter leurs plus belles cuvées dans des millésimes souvent anciens. »
Le tableau est effectivement enivrant : 700 personnes accoudées dans un incessant charivari où s’enchaînent les grands vins de Bourgogne, meursaults en tête. Les cravates se délient, les langues aussi, dans une ambiance toute bourguignonne.
Romanée-conti 29, Musigny 46…
« Il n’existe pas dans le monde, j’en suis sûr, un banquet plus sympathique, plus convivial et plus chaleureux que la paulée de Meursault », confesse Anthony Hanson, l’ancien maître de cérémonie de la vente des vins des Hospices de Beaune. En 2009, Gérard Oberlé a quant à lui vécu sa paulée comme une double naturalisation : « Aujourd’hui encore, mon verre se brise d’émotion quand je pense à la chaleur affectueuse avec laquelle j’ai été accueilli dans la grandiose salle du festin, à la farandole de plats confectionnés par les chefs bourguignons, à tous les vignerons se frayant un passage dans cette joyeuse sarabande pour me faire goûter leurs nectars. »
Comme le veut l’aimable coutume, les vignerons font ainsi déguster aux autres tables les vins qu’ils ont vinifié. Pas moins de cinq verres seront nécessaires pour assumer cette tradition et suivre la cadence orchestrée par les plus généreux. Ainsi, chaque année depuis 1984, le château de Meursault devient le lieu où les plus grands vins de Bourgogne se débouchent. Aubert de Villaine, cogérant du domaine de la Romanée-Conti et président d’honneur de l’association des Climats du vignoble de Bourgogne, se souvient de « l’intérêt passionné » suscité par une bouteille de Romanée-Conti 1929 issue d’une vigne non greffée ou encore d’un Musigny 1946 signé Georges Roumier.
Toujours authentique
Ne dites pas à un Murisaltien que l’événement a perdu de son âme. Créé en 1923 par son arrière-grand-père et son ami Jacques Prieur, Dominique Lafon estime qu’il a pris au fil des ans « une dimension unique et historique » et a su préserver son authenticité « car ce sont les vignerons du village qui la font vivre». Vincent Bouzereau défend lui aussi « ses racines viticoles et familiales, garantes de cet esprit de partage et de convivialité ».
Davantage qu’une fête hors norme, la paulée de Meursault représente l’ADN même de la Bourgogne. Aubert de Villaine a participé à sa première en 1980 et en garde un souvenir mémorable : « La paulée a participé à ma culture de la Bourgogne, précise le natif de Rennes. La chaleur, le sens du partage et de l’amitié ne s’expriment nulle part mieux qu’à la paulée et lors des chapitres de la confrérie des Chevaliers du Tastevin au château du Clos de Vougeot. » Tous ceux qui ont eu la chance d’y participer sont unanimes : « C’est une tradition, une fête de famille, indique pour sa part Albéric Bichot, de la maison Albert Bichot. C’est le plus bel hymne à la Bourgogne, à son histoire, à son travail de la terre et de la vigne. »
Au-delà du vin, la paulée témoigne de l’esprit village de la commune et de ses valeurs – partage et entraide – chers à Hubert Rougeot, fondateur de l’entreprise Rougeot et ancien maire de Meursault, décédé en 2018. Le village a en effet souvent fait preuve d’un certain esprit pionnier, expérimentant le premier enjambeur (1948), les premières vignes en ligne, la création d’un domaine communal de 14 hectares sur les Chaumes de Narvaux… Quant à sa paulée, Jean-Robert Pitte, qui a beaucoup œuvré pour la reconnaissance du repas gastronomique des Français par l’Unesco, souhaiterait qu’elle soit elle aussi inscrite au patrimoine mondial de l’humanité. Aubert de Villaine n’en pense pas moins : « La paulée de Meursault est le reflet de l’âme bourguignonne. Le vin est une flamme autour de laquelle on se réunit. Il faut que les Bourguignons réalisent que ce qu’ils ont entre les mains est un bien très précieux, unique, qu’il faut préserver à tout prix. » Alors, santé !