Utiliser les formidables ressorts de l’affaire Bettencourt pour en faire un objet théâtral, c’était là le but du stage de réalisation organisé par la Maison Jacques Copeau à Pernand-Vergelesses, en partenariat avec Liaison Arts Bourgogne-Le Lab. Un pari osé: trois semaines pour l’écriture, la mise en scène, les répétitions… et deux soirs de spectacle. Un pari réussi: l’affaire Bettencourt, écrite par Michel Vinaver, c’est du théâtre antique mâtiné de scandale, où l’argent devient métaphore et la vie se peuple de chimères.
Par Emmanuelle de Jesus & Antoine Gavory/Agence Proscriptum
Salle Pavelot, un podium façon catwalk. Bienvenue chez les Bettencourt, Liliane et André – Dédé – son mari. Bienvenue dans un théâtre de boulevard, où les histoires de famille, de domestiques, de politiques, de trahisons, de collaboration et d’héroïsme tranquille s’entremêlent, où règne un Dieu unique: l’argent. Bienvenue dans le formidable texte de Michel Vinaver dont le livret, donnant la parole à pas moins de 17 comédiens(!), transforme une affaire politico-financière (le présumé financement de la campagne d’hommes politiques par les Bettencourt) en un objet théâtral à l’antique avec chœur, héros, demi-dieux et pauvres humains ballottés par un destin ricanant.
Durant deux heures et demie, ils défilent tous, les vivants et les morts, et c’est saisissant: Liliane Bettencourt, hiératique et fissurée par la démence; sa fille Françoise Bettencourt-Meyers, emmurée dans un amour transi pour sa mère; l’héroïsme tranquille du rabbin Robert Meyers, père de son mari Jean-Pierre et la collaboration non moins tranquille d’Eugène Schueller, père de Liliane et de son mari André.
Ils sont tous là: les domestiques qui se transforment en espions, les politiques (Eric Woerth, Nicolas Sarkozy) qui abdiquent toute éthique pour courir après le Dieu des dieux: l’argent, le monstrueux tas d’or des Bettencourt, première fortune de France. Les époques s’entrechoquent, et sautille le bouffon cynique François-Marie Banier, ami photographe de Liliane Bettencourt qui, selon Françoise Bettencourt, aurait reçu pas moins de 993 millions d’euros de dons divers de la part de sa très riche mécène…
Transformer l’actualité en objet scénique
Ils sont tous là et c’est à la fois jubilatoire et angoissant de voir se mouvoir à quelques centimètres de soi les demi-dieux adoubés par l’argent et leurs serviteurs. D’autant plus que ce travail a été fait dans l’urgence, dans l’énergie d’un défi puisque réalisé en un stage de trois semaines avec, comme le précise le communiqué de presse de la Maison Copeau, « dans la grande tradition des stages d’éducation populaire, une équipe de 10 personnes avec Jean-Louis Hourdin comme chef de troupe, Ivan Grinberg comme dramaturge, mais aussi: une scénographe, une costumière, une musicienne, une chorégraphe, un éclairagiste qui n’ont qu’un seul but et un véritable défi: contribuer à faire exister le texte en un délai aussi court et ce qui est absolument nécessaire pour le théâtre, le présenter au public. C’est une véritable gageure mais cette prise de risque est partie intégrante du stage, elle en est même le moteur. » Pari réussi puisque cette actualité brûlante, dégagée du flot du quotidien, s’ancre dans la gangue d’une mythologie universelle…