Inconscient ont dit de lui certains de ses confrères en colère. Emmanuel Giboulot a incarné pendant des mois, aux yeux de beaucoup, la lutte contre le système, contre la normalisation, contre la réglementation à outrance. Alors qu’un deuxième vigneron est mis en cause (Thibault Liger-Belair) dans l’affaire des pesticides, il est intéressant de revenir, avec le recul, sur la position de ce viticulteur de Beaune qui a fait bouger les lignes.
Par Michel Giraud – Photo : D.R.
Pour s’être opposé, en 2013, à un arrêté préfectoral qui imposait le traitement systématique du vignoble de Côte-d’Or pour prévenir de la flavescence dorée, maladie contagieuse et mortelle pour la vigne, Emmanuel Giboulot a été poursuivi en justice. Il a reçu des centaines de milliers de soutiens venus de la France entière, et même d’ailleurs. Pendant un an, il a été au cœur du débat sur l’utilisation des pesticides en agriculture. Le 4 décembre dernier, le vigneron beaunois, spécialiste de la biodynamie, a été finalement acquitté par la cour d’appel de Dijon. Aujourd’hui, il a accepté de regarder dans le rétro.
Comment s’est passé le retour aux « affaires courantes » ?
« On est revenu dans un univers qui est plus le mien. Ça fait du bien de retrouver les réalités de mon métier de vigneron. Mais c’est une période qu’il fallait vivre. Je ne pensais pas que cela m’emmènerait jusque-là. On a prouvé que c’était un sujet de fond dans la société. Il n’y a pas un million de personnes qui apportent des signatures par hasard. On a prouvé que c’était au cœur des préoccupations. Ce n’est pas Emmanuel Giboulot qui a apporté ça. Cela aurait pu être un autre de mes collèges. Je ne voulais pas que ce soit un sujet qui soit passé sous silence. Le bilan est positif, il y a eu un débat démocratique, dans la société civile, dans le milieu professionnel aussi, une prise de conscience. C’est salutaire. Même si j’ai conscience que cela a dérangé certains collègues, pour l’avenir de la viticulture, c’est positif. Et une chose est sûre : on sera à nouveau confrontés à des scandales, des sujets qui tournent autour de la problématique, de l’utilisation des pesticides, on a des exemples régulièrement. Mais on ne peut pas dire aujourd’hui: on ne savait pas, on n’avait pas d’autres choix. On ne peut plus dire ça. »
Vous considérez-vous comme un esprit libre ?
« Je pense que nous sommes dans un système où il y a une interdépendance très grande les uns à l’égard des autres. Nous sommes dans un système globalisé. De plus en plus. Je ne suis pas libertaire pour être libertaire. Quand on est dans une société complexe comme la nôtre, on sait bien que chacun ne peut pas faire ce qu’il veut comme il veut, n’importe quand, n’importe où. Mais il faut être conscient de l’impact de ce qu’on fait. Il faut revendiquer et affirmer, être en droit de contester quand on pense que les choses ne sont pas cohérentes. C’est très important pour la démocratie qu’on ait cette possibilité. Si on s’enferme de plus en plus dans un système, dans des obligations, le système va imploser à un moment ou à un autre. »
Avec un peu de recul, quel regard portez-vous sur toute cette affaire ?
« Ça me conforte dans la façon dont on travaille. J’aurais été seul à mener ce combat, j’aurais été isolé de partout, je me serais sans doute posé beaucoup plus de questions. Je me les suis posées avant que les soutiens arrivent. J’ai eu de belles insomnies ! Après, le résultat montre que c’était nécessaire de mettre ce sujet sur la table et que la société civile s’en empare. Nous, on est juste les dépositaires de pratiques agricoles, on est responsables de la santé de ceux qui achètent nos vins, les aliments. On est responsables devant les générations futures. Moi je me sens une grande responsabilité en tant que paysan de ce que va être le monde de nos enfants demain. C’est cela qu’il faut voir. Bien sûr, on peut utiliser les produits pour la sécurité, mais aujourd’hui notre responsabilité, c’est de se poser des questions, et ne jamais se satisfaire de la facilité. »
A lire aussi:
http://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne/2015/04/28/flavescence-doree-faut-il-imposer-une-discipline-qui-s-applique-tous-les-viticulteurs-714473.html